dimanche 5 février 2012

Une bonne raison de se tuer de Philippe Besson


À Los Angeles, tandis que l'Amérique s'apprête à élire un nouveau président, Laura, en proie à une résignation qui semble insurmontable, et Samuel, dévasté par la mort de son fils, vacillent au bord du précipice, insensibles à l'effervescence de leur pays. Ils ne se connaissent pas. Leurs destins vont se croiser. Pourront-ils se sauver l'un l'autre ? (Julliard)

En ce matin d'élection présidentielle, à Los Angeles,, Laura se réveille et s'apprête à vivre sa dernière journée, sa décision étant prise : "Mais cette fois, Laura Parker ne sera pas sauvée : elle a décidé qu'elle serait morte ce soir."
Au même moment, Samuel lui aussi se réveille et se remémore son enfance, encore à moitié dans les brumes du sommeil, et il repense alors à Paul : "Paul est son fils. Cet après-midi, à 14 heures, il doit l'enterrer."

Ce livre est découpé par tranche de deux chapitres, alternant à la fois Laura et Samuel jusqu'à une brève rencontre entre ces deux protagonistes vers la fin de l'histoire, et se déroule sur une seule journée mais qui sera riche en évènements.
L'auteur a choisi de placer son histoire le jour de l'élection de Barack Obama, et alors que pour tous les américains cette journée sera historique, Laura et Samuel restent complètement indifférents à l'effervescence générale, enfermés dans leur drame personnel.
Pour l'une, son suicide programmé pour la fin de la journée, parce qu'après avoir dévoué sa vie à son mari et à ses enfants elle se retrouve aujourd'hui abandonnée de tous, divorcée, et ne réussissant pas à combler le vide de sa vie avec une activité professionnelle.
Pour l'autre, l'enterrement de son fils qui a mis fin à ses jours, à 17 ans, en se pendant dans les toilettes de son lycée.

Au-delà de ce contexte, il ne m'a pas été difficile de m'attacher à ces deux personnages à la dérive, avec comme seul espoir qu'ils finissent par se rencontrer.
Laura est une femme qui a tout donné et tout sacrifié pour son mari et ses enfants, elle n'a jamais exercé une activité professionnelle mais a toujours exercé son métier de femme au foyer consciencieusement : "Elle ne cache pas qu'elle n'a jamais été vraiment autonome. Elle est de ces femmes qui ont laissé le pouvoir aux hommes et se sont trouvées fort dépourvues quand les hommes sont partis."
Aujourd'hui, elle est divorcée, a été mise à la porte par son mari, l'un de ses fils est parti vivre à New-York et l'autre vit de son côté, elle n'a qu'un grand vide dans sa vie et se sent complètement inutile : "Elle est la femme sans histoire, la définition même de la femme sans histoire. Son existence est absolument ordinaire, linéaire, sans aspérités, sans aventures. La destinée n'y a pas sa place."
Si j'en parle autant, c'est que ce personnage m'a marquée et touchée, c'est l'un des portraits féminins les plus forts qu'il m'ait été donné de lire depuis quelques temps.
Cette femme est complètement paumée et vit le drame de nombreuses femmes qui aujourd'hui, après avoir tout sacrifié pour leur famille, se retrouvent du jour au lendemain jetées comme des mal propres.
Elle a beau chercher Laura, se demander ce qu'elle a mal fait ou pas fait, elle n'arrive pas à trouver de réponse à sa question.
Alors pour la seule fois de sa vie, elle va prendre une décision : en finir. Mais même avec sa mort elle pensera encore aux autres, cherchant à leur éviter les soucis et les ennuis, vidant son frigidaire, laissant la maison propre et en ordre, avec comme seul mot d'adieu : "Je n'ai pas eu le choix, pardon."
Comme si, même au seuil de sa mort, elle devait encore se justifier et demander pardon aux autres.
Samuel, quant à lui, est un artiste hippie qui s'est toujours laissé porter par la vie et a surtout fui son Mississippi natal pour devenir une autre personne, maître de son destin.
Il s'est marié un peu parce qu'il le fallait, il a vite divorcé et a été père le week-end, mais sans jamais être mauvais ou incapable ou non présent.
C'est sa nature d'être ainsi, et aujourd'hui il se retrouve à aller enterrer son fils qui s'est suicidé par pendaison suite à une déception amoureuse.
A aucun moment il n'a senti le malaise de son fils, ni perçu sa fragilité, ni lui ni personne. Et aujourd'hui il se sent coupable, il ravive sa douleur en se remémorant des souvenirs, en allant dans la chambre de son fils, en regardant ses affaires.
Désormais, il va devoir continuer à vivre avec cette plaie qui jamais ne se refermera.

Alors oui, ces deux personnages se rencontrent, mais trop tard : "Elle préfère encore le silence, parce que, dans le silence, on peut communier encore, et se comprendre, et se pardonner. Elle préfère le regard, parce qu'avec le regard, elle est capable d'avouer. [...] Et Samuel accepte. Il n'a pas deviné ce qu'elle s'apprête à faire mais consent à la laisser partir, comme ça, sans motif. En revanche, il sait qu'il ne la reverra pas."
Et pourtant, pendant toute ma lecture, je n'ai pu m'empêcher d'espérer que Laura ne mettrait pas son geste à exécution, qu'elle finirait par croiser le chemin de Samuel et que ces deux êtres au fond du trou rebondiraient ensemble pour mieux revenir vers la vie.
Mais voilà, ce n'était pas qu'un roman que j'étais en train de lire, mais également une histoire de la vie de tous les jours, et c'est sans doute l'une des grandes forces de Philippe Besson de réussir à faire de son roman une page de la vie quotidienne de tout à chacun.

J'ai également beaucoup apprécié le décor de l'histoire : la ville de Los Angeles en Californie.
L'auteur en donne une version plus calme, plus lisse et sage que celle à laquelle on aurait pu s'attendre.
Finalement, la vie y est assez calme et routinière, le rêve n'y a pas sa place.
D'un autre côté, c'est une grande ville cosmopolite où tous les genres se rencontrent et s'entrechoquent sans vraiment faire attention aux autres qui les entourent et où personne ne trouve jamais sa place.

Non, ce livre de Philippe Besson n'est pas joyeux, c'est même au contraire un sentiment amer que j'ai ressenti à la fin de ma lecture et une dénonciation dans les règles de notre société actuelle où seul le "moi" compte et où tout le monde vit dans l'indifférence totale des autres.
Mais si je ne devais donner qu'une seule bonne raison de le lire, ce serait celle-ci : avec ce livre, Philippe Besson donne voix au chapitre à ceux qui d'ordinaire en sont privés.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire