dimanche 28 octobre 2012

La vie à deux de Dorothy Parker


Célébrée pour son humour et son extraordinaire sens de l'observation, Dorothy Parker a laissé une œuvre dans laquelle les petits ratés de la vie de couple prennent souvent l'allure d'une comédie désopilante. Qu'il s'agisse de cette amoureuse, tremblante à côté d'un téléphone qui ne sonnera pas ou de cette ex-reine de beauté qui cherche à prolonger ses illusions par un whisky sans glace, chacun des personnages de ce recueil de nouvelles devient attachant parce qu'il nous ressemble. Pour reprendre le mot d'Edmund Wilson, les écrits de Dorothy Parker nous renvoient l'écho d'une voix à nulle autre semblable. Écoutons-la nous parler de nous. (10/18)

Du mari aveuglé par l'amour qu'il porte à sa femme : "La maternité n'avait rien ajouté à la beauté de Camilla pour la simple raison que la perfection n'a pas besoin d'adjuvant.", à la jeune femme attendant fébrilement l'appel de son amoureux : "Ce n'est pas grand chose et cela vous coûterait si peu, mon Dieu, si peu ! Mais faites seulement qu'il téléphone. S'il vous plaît, mon Dieu, s'il vous plaît.", à la femme ayant adopté un enfant pour se donner bonne conscience et se faire bien voir de ses amies : "Mme Matson l'avait choisi, selon ses propres termes, dans la meilleure maison de New York. Cela ne surprit personne. Mme Matson allait toujours dans les meilleures maisons quand elle faisait des achats. Un enfant se choisissait comme le reste : il fallait qu'il fût solide et durable.", à la jeune épousée formulant une promesse aussi rêveuse qu'inaccessible : "Quand je pense à tous ces gens qui se marient et puis qui gâchent leur vie en se disputant pour des riens. Oh, je ne veux pour rien au monde ressembler à ces gens-là, chéri. On sera différents, nous deux, n'est-ce pas ?", Dorothy Parker décrit avec une plume acide tous ces portraits de couples, de la vie à deux.
Si je qualifie sa plume d'acide, ce n'est pas parce que l'auteur exagère le trait et laisse transparaître ses frustrations, mais bien au contraire parce qu'elle porte sur tous ses personnages un regard extrêmement clairvoyant et juste, et ils ne sont pas sans nous rappeler des personnes que nous connaissons, ou dont nous avons simplement croisé la route, voire ils sont l'écho de notre propre personne.

Ce recueil de nouvelles ne contient que des pépites, les histoires sont toutes plus réalistes les unes que les autres et abordent à peu près toutes les situations de la bourgeoisie New-yorkaise dans le milieu du vingtième siècle.
Les femmes présentes dans ce recueil sont toutes plus ou moins à la dérive, certaines se consolent dans l'alcool, d'autres dans des fêtes ou dans leur cercle d'ami(e)s, elles sont exigeantes voire pénibles, cherchent querelle pour un rien, sont jalouses et envieuses comme des tigresses; quant aux plus jeunes il est facile pour le lecteur de deviner ce qu'elles deviendront par la suite.
Certaines arrivent à être attachantes, comme cette ex reine de beauté qui cherche à retrouver ses illusions dans l'alcool, d'autres ne le sont à aucun moment et m'ont été antipathiques du début à la fin de la nouvelle, particulièrement cette femme riche ayant adopté un enfant et qui au final le dresse plutôt qu'elle ne l'élève et le montre tel un animal de foire plutôt qu'elle ne l'aime.
Quant aux hommes, je n'ai pas trouvé qu'ils avaient le beau rôle, loin de là, ils sont plutôt présentés comme lâches, fuyant leurs responsabilités pour mieux retrouver leur maîtresse ou alors ils s'écrasent devant la femme qu'ils aiment.
Et puis, c'est sans doute l'une des plus grandes forces de ce livre, tous ces petits ratés de la vie conjugale mis bout à bout forment une comédie désopilante que j'ai pris grand plaisir à lire.
Dans ce livre le couple vole en éclat mais c'est une jouissance que de lire cette explosion savamment orchestrée par l'auteur.

Toutes ces nouvelles ont un point commun : elles se passent à New-York ou dans sa proche banlieue.
La ville de New-York est à mon avis un personnage à part entière de ce livre tant elle est présente dans les propos des personnages et tant son agitation, sa réputation sont présentes en toile de fond dans le récit.
A New-York, ce n'est pas vivre qui compte, mais paraître : "Si vous voulez mon avis : à New York vous ne faites qu'exister; ici, on vit.", et si cela était déjà vrai lorsque Dorothy Parker a écrit ce recueil cela l'est tout autant aujourd'hui.
New-York est une présence constante dans ces nouvelles et les enrobe de façon à y laisser son empreinte.

"La vie à deux" n'est pas une ode au couple, loin de là, mais ce n'est pas non plus du cynisme ou de la méchanceté ou de l'aigreur, c'est uniquement le reflet de la réalité dépeint par l'oeil et la plume acérés de Dorothy Parker; et c'est juste un pur plaisir et moment de bonheur que de lire ce livre et pour ma part, de découvrir également cette auteur.

Ce livre a été lu dans le cadre du challenge New-York en littérature 2012


Livre lu dans le cadre du challenge ABC Critiques 2012/2013 - Lettre P



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