dimanche 21 octobre 2012

La vie rêvée d'Ernesto G. de Jean-Michel Guenassia


Paris-Alger-Prague. Des années 30 aux années 80. Des guinguettes de Joinville à la peste d’Alger, de la guerre à l’effondrement communiste. La trajectoire de Joseph Kaplan, fils et petit-fils de médecins juifs praguois, héros malgré lui, fataliste et optimiste à sa manière. Ses amours, ses engagements et ses désillusions. Et la rencontre qui bouleversa sa vie, celle qu’il fit avec un révolutionnaire cubain qui passa quelques temps en 1966 dans son sanatorium des environs de Prague, un certain Ernesto G., guerrier magnifique et déchu. 
Dans la lignée du Club des Incorrigibles optimistes, Jean-Michel Guenassia retrace avec talent le parcours insolite d’un héros malgré lui. On retrouve dans ce roman son art de la narration si particulier, où l’Histoire et l’intime se mêlent dans une fresque captivante et nostalgique. 
Jean-Michel Guenassia est l’auteur du phénomène de la rentrée littéraire 2009, tant critique que public, Le Club des Incorrigibles optimistes (Goncourt des lycéens 2009). (Albin Michel)

Joseph Kaplan, fils et petit-fils de médecins juifs praguois, quitte jeune son pays pour venir étudier à Paris et se noyer dans les soirées de jazz et de tango, où les filles changent chaque soir et où aucune n'arrive à attirer son attention.
Quand vient la guerre d'Espagne, ses convictions devraient le pousser à s'y engager, mais il fait le choix d'achever ses études et accepte par la suite une place à l'Institut Pasteur d'Alger : "Votre vrai problème à vous les pacifistes, c'est votre profonde stupidité.", pensant que de toute façon, le destin de l'Espagne est joué et n'a plus besoin de lui.
Joseph Kaplan est un personnage fort et central de ce roman, le lecteur vit avec lui sa jeunesse et son insouciance qui le poussent à ne plus prendre de nouvelles de son père alors que l'ascension du IIIè Reich est faite, que la guerre se déclare en Europe et que la traque des Juifs et leur extermination commence, l'entrée dans l'âge adulte lorsqu'il retourne à Prague pour exercer la médecine et épouse alors les idées apparemment formidables pour un nouveau mode de vie du communisme, le désenchantement qui s'ensuit, et enfin sa vieillesse entourée de sa fille Helena, tous deux restant marqués par leur rencontre avec Ernesto Guevara dit le Che, l'un des leaders de la révolution marxiste cubaine.
Qui dit Joseph dit Christine, sa femme, l'un des deux personnages féminins du roman.
Cette figure féminine part pourtant d'un rôle secondaire et finira par jouer un rôle important dans le récit, apportant également l'une des touches romantiques de cette histoire avec son départ d'Alger en compagnie de Joseph et par la suite leur mariage : "Ils passèrent deux semaines magnifiques, se découvrirent comme à tâtons, avec incrédulité, se demandant pourquoi ils avaient attendu si longtemps et risqué de passer à côté l'un de l'autre, sans deviner que la vie rêvée était là, tout près, à portée du regard, il suffisait d'ouvrir les yeux, de dire oui, et autant que cette entente révélée, leurs discussions les rapprochaient infiniment. Ils se parlaient pendant des heures comme s'ils s'étaient rencontrés la veille, se posaient mille questions, reconstituaient avec bonheur les pièces du puzzle mais ils restaient parfois aussi sans rien dire, côte à côte, à regarder la montagne.".
J'ai été frappée par l'importance de tous les personnages et par l'équilibre entre les hommes et les femmes dans ce récit.
Les hommes sont plutôt générateurs de tourments tandis que les femmes apportent une touche de romantisme et de douceur.
C'est le cas avec Christine, mais également avec Helena, et toutes deux devront d'ailleurs réaliser des sacrifices, pour Helena cela sera son véritable amour tandis qu'elle fera un mariage que je qualifierai de raison : "Ce fut un mariage socialiste. En petite pompe.".
Quant à Christine, ce personnage est plus complexe et moins saisissable que sa fille mais tout aussi intéressante.
Je constate que l'auteur maîtrise tout aussi bien ses personnages que dans son précédent roman et qu'il les a élaborés avec amour et patience.

Selon moi, l'attrait principal de ce livre réside dans deux thèmes développés par l'auteur.
Le premier concerne le régime communiste dans les pays de l'Est et ses dérives, à savoir l'espionnage permanent, le climat de peur généralisée, les arrestations, les emprisonnements et les exécutions arbitraires.
Ce thème était esquissé dans le précédent roman de Jean-Michel Guenassia, dans celui-là il est pleinement exploité, de surcroît de façon intelligente et intéressante.
L'ambiance, le climat de peur de sa moindre parole et de ses voisins sont très bien retranscrits et permettent de dresser un tableau non idyllique de la vie à cette époque dans les pays du bloc de l'Est.
De plus, l'auteur se permet de faire réapparaître un personnage et d'évoquer le club d'échecs de son précédent roman, j'ai beaucoup aimé ce clin d'oeil et la liaison qu'il implique entre les deux romans.
Le second concerne le personnage d'Ernesto Guevara présenté sous un angle peu habituel : celui d'un révolutionnaire et d'un idéaliste, mais surtout celui d'un homme fatigué par la lutte et qui n'aspire désormais qu'à la paix et à vivre la vie dont il a toujours rêvé.
Et même si le personnage donnant son nom au roman met du temps à arriver, cette attente est largement compensée par sa présence.
Très loin du cliché sur le Che, il est montré ici comme un homme tout simplement, qui aime, qui souffre et qui doit faire des choix de raison et finalement continuer la lutte au nom d'un idéal et laisser de côté ses rêves : "Pendant l'interminable voyage, elle n'entendit pas le son de sa voix et pensa qu'il était muet. Il ne dormit à aucun moment, ne mangea rien, accepta un jus d'orange. Il fumait et, quand il ne regardait pas le ciel, il passait son temps plongé dans un recueil de poèmes.".


De vie rêvée, il en est beaucoup question dans ce nouveau roman de Jean-Michel Guenassia, pourtant l'époque, les lieux et les situations sont à mille lieux de se prêter au décors d'une vie rêvée.
Grande fresque romanesque s'étalant sur un siècle, "La vie rêvée d'Ernesto G." traverse les périodes les plus sombres du 20è siècle : les deux guerres mondiales, l'avènement du régime communiste dans les pays de l'Est et sa chute et esquisse la guerre d'Algérie à venir et se révèle être une formidable épopée qui se lit avec énormément de plaisir, servi par une écriture maîtrisée et captivante.
Et il ne s'agit là que du second roman de cet auteur !


Livre lu dans le cadre du challenge de Babelio de la rentrée littéraire 2012


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