samedi 30 novembre 2013

L'accompagnatrice de Nina Berberova


En quelques scènes où l’économie des moyens renforce l’efficacité du trait, Nina Berberova raconte ici les relations d’une soprano issue de la haute société pétersbourgeoise, avec Sonetchka, son accompagnatrice, bâtarde et pauvre ; elle décrit leur exil dans les années qui suivent la révolution d’Octobre, et leur installation à Paris où leur liaison se termine dans le silencieux paroxysme de l’amour et de la haine. (Actes Sud)

Sonetchka est une jeune femme bâtarde et pauvre, dotée d'une mère aimante qui l'a élevée aussi bien qu'elle a pu en lui donnant accès à la musique et sans qu'elle ait trop à pâtir du fait d'être née hors mariage, d'un père, qu'elle n'a d'ailleurs jamais connu, plus jeune que sa mère et qui fut son élève.
Dans sa vie, il y a donc la musique avec le piano, instrument qu'elle maîtrise très bien et qui lui permet de vivre; et Maria Nikolaevna, la chance de sa vie en quelque sorte puisque cette femme, soprano issue de la bourgeoisie Pétersbourgeoise, lui offre d'être son accompagnatrice, dans un périple qui les mènera de Russie en France.
Car cette histoire se passe dans la Russie des années 1910, avec en toile de fond la révolution bolchevique et la fuite d'une partie de la haute société russe vers d'autres pays d'Europe.
Au cœur de ce roman, présenté comme le journal intime de Sonetchka, il y a une opposition constante entre les deux personnages féminins de Sonetchka et de Maria, antithèse l'une de l'autre car venant de deux couches sociales opposées mais rapprochée par la musique : "Mais parce qu'elle était unique, et des pareilles à moi il y en avait des milliers, parce que les robes qui l'avaient tellement embellie et qu'on retaillait pour moi ne m'allaient pas, parce qu'elle ne savait pas ce que sont la misère et la honte, parce qu'elle aime et que moi, je ne comprends même pas ce que c'est.".
Dès lors, c'est un climat malsain qui s'installe dans la narration et qui ne cesse de mettre mal à l'aise le lecteur qui assiste, impuissant, aux tourments de l'esprit de Sonetchka qui cherche à faire payer à Maria son bonheur rayonnant :  "Et malgré ces sentiments insolubles, elle continuait à rayonner d'une espèce de bonheur constant. Et c'est pour ce bonheur constant que je rêvais de la punir.".
Dans la vie de Maria, il n'y a pas que la musique et son mari, il y a aussi Ber, que Sonetchka soupçonne d'être l'amant de Maria sans en avoir aucune preuve : "La vie de Maria Nikolaevna était remplie de musique, de sorties dans le monde, de visites chez le couturier et à l'institut de beauté - il semblait qu'elle n'avait ni la possibilité, ni le temps de le rencontrer, et cependant, je ne doutais pas qu'elle le vît.".
Et pour se venger et humilier Maria, Sonetchka est prête à tout, même à tout dire au mari, quitte à perdre sa place et la gloire qu'elle retire indirectement de son rôle d'accompagnatrice.
Court roman, "L'accompagnatrice" met mal à l'aise le lecteur, basé sur la psychologie il dévoile une narratrice froide et calculatrice, mais il met surtout en lumière la plume implicite et aiguisée de Nina Berberova, une auteur russe ayant fui son pays pour la France avant de s'exiler définitivement aux Etats-Unis, dont j'ai pu admirer toute l'étendue de son talent.
Ce roman a l'âme slave, avec cette histoire bouillonnante où l'amour et la haine sont présents, et se distingue par son caractère et son ton incisif.

"L’accompagnatrice" fait partie de ces courts romans percutants qui marquent un lecteur, ce livre m'a en tout cas permis de découvrir tout le talent de Nina Berberova à travers cette histoire dérangeante de lutte des classes sociales à travers le prisme de deux femmes réunies par la musique, une très belle découverte.

La fabrique du monde de Sophie Van der Linden


Et je me vois là, dans tout ça. Une petite chinoise de dix-sept ans, une paysanne, partie à l’usine parce que son grand frère entrait à l’université. Quantité des plus négligeables, petite abeille laborieuse prise au piège de sa ruche. Enfermée là pour une éternité. 
Confrontant un souffle romantique à l’âpre réalité, La Fabrique du monde est une plongée intime dans un esprit qui s’éveille à l’amour, à la vie et s’autorise, non sans dommage, une perception de son individualité. Aujourd’hui en Chine. Mei, jeune ouvrière de dix-sept ans vit, dort et travaille dans son usine. Elle rêve aussi. (Buchet - Chastel)

La fabrique du monde dont il est question présentement, c'est la Chine, pays réalisant la grande majorité des vêtements vendus partout dans le monde.
Mais de façon plus métaphorique, c'est aussi l'endroit où Mei va se découvrir et découvrir la vie, rêver, aimer, en quelque sorte se fabriquer.

Mei est une jeune fille de dix-sept ans, vivant, dormant et travaillant dans l'usine qui l'emploie, prisonnière de ce monde impitoyable et sacrifiée par ses parents pour que son frère puisse aller à l'université : "Quantité des plus négligeables, petite abeille laborieuse prise au piège de sa ruche. Enfermée là pour une éternité.".
Mais Mei n'est pas qu'une quantité négligeable passant des heures penchée sur son ouvrage à coudre, elle est aussi un être humain et à ce titre ressent des émotions, éprouve des sensations, rêve à une vie meilleure et commence à refuser son existence de quasi-esclave : "Je suis étourdie, je secoue la tête, je veux sortir de là, sortir de moi, j'ai mal, c'est trop de rancœur, de regrets, de colère. Les larmes reviennent, des larmes furieuses, je voudrais grogner.".
Mei est un personnage extrêmement touchant, faite de rêves, d'envie, de colère, de tristesse et de désespoir, difficile de résister, de ne pas l'aimer, et surtout de ne pas s'y attacher.
Si le premier chapitre peut déstabiliser, il faut absolument poursuivre la lecture de ce roman car la suite est tout simplement magnifique.
Dans un premier temps, l'auteur s'attache à décrire la déshumanisation au travail, toutes ces jeunes femmes qui passent leur vie à travailler jusqu'à l'accident ou l'épuisement, avec au milieu d'elles une Mei qui se prend à espérer et à rêver : "Sans bouger, au sortir du sommeil et pas encore dans ma vie éveillée, dans ce bref intervalle, tout est possible, imaginable, derrière mes paupières fermées.", l'auteur fait en tout cas très bien passer la dimension tragique, les dures conditions de vie et de travail en Chine.
Puis, dans un deuxième temps, l'auteur se détache de cette noirceur pour décrire l'éveil aux sens, à l'amour et à la vie de Mei, une partie plus lumineuse qui n'en est que plus belle.
Mei est amoureuse, cela devient son centre de gravité, sa raison de vivre : "Ce qui devait être exceptionnel est devenu l'essentiel.", et c'est avec beaucoup d'émotions que j'ai suivi le parcours de cette jeune femme.
Ce roman à la couverture magnifique est certes court, mais il se lit d'une traite et véhicule beaucoup d'émotions.
Je ne connaissais pas Sophie Van der Linden, auteur de littérature pour la jeunesse, mais même si ce livre est son premier roman et n'est pas forcément parfait sur tous les aspects, je l'ai trouvé très réussi et sa lecture m'a donné envie de découvrir les écrits pour la jeunesse de son auteur.

"La fabrique du monde" est une très belle découverte, un magnifique récit qui en dit long en peu de mots et fait passer énormément d'émotions en un court nombre de pages, un roman qui fait partie de mes plus belles découvertes de cette rentrée littéraire 2013.

Un grand merci à George pour le prêt de ce livre ! 

Ce livre fait partie du Prix Talents à découvrir de Cultura 2013.

vendredi 29 novembre 2013

Un village français - Saison 5



"En 1943 il y avait déjà du réseau", tel était l’un des slogans publicitaires pour cette cinquième saison de l’excellente série "Un village français".


Cette année, France Télévisions avait mis les petits plats dans les grands : un affichage publicitaire important notamment dans le métro parisien, un teaser intriguant, autant dire que la chaîne essayait d’amener le plus grand nombre de personnes à regarder ce programme.
Mais il ne fallait pas que conquérir du public et des parts d’audience, il fallait aussi récompenser de leur patience les fidèles de ce programme qui attendait cette saison depuis un et demi.
Et un an et demi c’est très long, et plus le temps passe plus le spectateur devient exigeant.


Je n’ai jamais caché que je suivais cette série depuis la première saison, qu’elle est excellente et sans doute ce qui s’est fait de mieux ces dernières années dans le milieu télévisuel.
Mais chaotique est un terme qui définirait assez bien cette cinquième saison.
Il y a de très bonnes choses dedans, mais d’autres trop longues et ennuyeuses.
Une saison en demi-teinte donc qui a tardé à se mettre en place pour ne briller totalement que dans les quatre derniers épisodes.


En cette année 1943, les créateurs de la série ont souhaité traité du Service de Travail Obligatoire – STO qui a amené de nombreux jeunes hommes à partir dans le maquis pour éviter cette obligation, beaucoup ont rejoint alors la Résistance, la répression allemande, pour conclure sur un défilé des maquisards le 11 novembre à Villeneuve, directement inspiré du défilé du 11 novembre 1943 à Oyonnax.
Et c’est dans une partie de ce scénario que l’ennui s’est installé.
Certes, le STO est un thème majeur de 1943, d’autant qu’il a contribué pour beaucoup à garnir les rangs de la Résistance qui n’est toujours pas armée par Londres et ne peut de ce fait mener des actions d’envergure, mais les passages dans le maquis sont longs, trop longs, répétitifs et d’un ennui … .
Dans le contexte de l’époque, il est vrai que tous ces jeunes s’ennuyaient, vivaient dans des conditions précaires, s’entretenaient physiquement et s’entraînaient avec des armes en bois à défaut de vraies, le problème c’est quand cet ennui ressenti est retranscrit dans le scénario et à l’écran.
Certes, l’un des maquisards va monter une pièce de théâtre, mais quel ennui là encore de voir et revoir les mêmes scènes de répétition, à tel point que parfois je me disais : "Oh non, encore cette fichue pièce, rien ne va se passer.".


Qui dit nouvelle saison dit aussi nouvelles têtes, mais il faut bien reconnaître qu’Antoine, chef auto-proclamé du maquis de Villeneuve tient plus souvent de la tête-à-claques que du garçon auquel on s’attache et que ses frictions avec Claude, le scénariste et metteur en scène de la pièce de théâtre, manquent de panache pour bien appuyer les différences entre ces deux garçons.
Et puis il y a Marguerite, la nouvelle maîtresse de chant sortie d’on ne sait où et qui cache on ne sait quoi.
Au final, ce personnage se révèle être intéressant mais n’a pas été bien employé au début.
Il y a toujours les valeurs sûres : Daniel Larcher bien qu’il ait été moins présent dans cette saison et en demi-teinte, relégué à un rôle de médecin de ville ; son frère Marcel Larcher, l’un des atouts de cette saison (comme de celles passées), Hortense Larcher là aussi un peu trop effacée au début et dont j’aurais aimé voir certains aspects développés (notamment celui de la relation avec sa mère) ; Raymond Schwartz plus présent que dans la saison passée ; Jean Marchetti qui passe de Jean-qui-déprime à Jean-qui-complote ; Lucienne Bériot qui explose dans cette saison ; Heinrich Müller qui n’est que l’ombre de lui-même une bonne partie de la saison ; Jeannine Chassagne toujours aussi calculatrice (et alcoolique).

Ce qui suit va révéler une bonne partie de l’intrigue, ne dites pas que vous n’aurez pas été prévenu mais il ne m’est pas possible de ne pas en parler.

Avant cette saison, j’avais fait quelques pronostics, j’ai parfois visé juste, pour d’autres j’ai été déçue.
Daniel et Marcel vont bel et bien se retrouver dans une même cellule, tous deux torturés et cela fait partie des moments forts de cette saison.
Marcel revit pendant son emprisonnement des épisodes de son enfance et de sa relation conflictuelle avec son frère, le partage de ce dur moment offre de très beaux passages entre les deux hommes qui vont se soutenir mutuellement et presque se réconcilier.
Daniel n’est pas aussi fort que son frère et il le lui montre, fier de ne pas avoir parlé mais lui demandant comment faire pour ne pas parler, ne pas craquer, parce qu’il sait où se trouve le maquis et que les allemands le savent, l’un des très beaux moments de cette saison.
Autre très beau passage avec Marcel et ses compagnons de cellule : le procès du cafard, un moment fort de cette saison qui arrivait au bon moment, celui où je commençais à désespérer avec une intrigue qui peinait à s'installer.
Ma brave Jeannine n’a pas viré résistante, ouf ! Mais qu’elle est machiavélique et calculatrice cette femme ! Elle sent le vent tourner et elle essaie de s’en sortir les cuisses propres, elle aime et veut le pouvoir, sans doute plus que son mari Philippe Chassagne qui n’est qu’ambitieux.
Le couple qu’elle forme avec le nouveau maire de Villeneuve est très représentatif de l’esprit de certaines personnes à cette époque, particulièrement ceux qui avaient choisi de collaborer.
Jean Marchetti est l’un des personnages les plus mystérieux de cette saison.
Il la commence complètement déprimé, n’ayant plus le goût à rien mais retenant en quelque sorte prisonnière une malheureuse jeune fille croisée dans la saison précédente qui lui sert de servante et d’une forme d’esclave sexuelle pour assouvir ses pulsions primaires.
C’est un homme rongé par le désamour que lui porte la femme qu’il aime, qu’il a aidé à fuir en Suisse tout en sachant qu’elle portait son enfant.
Honnêtement, je me suis dit que s’il passait toute la saison comme ça, ça n’allait pas le faire. Heureusement, il redevient un peu plus lui-même dans la deuxième moitié.
Hortense, je vous rassure tout de suite, je ne la comprends toujours pas ! (et je ne la comprendrais sans doute jamais)
Elle a un rôle moindre dans cette saison, c'est un peu dommage mais je pense qu'elle reviendra sur le devant de la scène dans la suivante.
Heirich Müller était, il ne faut pas se voiler la face, décevant durant la première moitié de la saison. Il ne faisait rien hormis se shooter à la morphine pour calmer ses douleurs, s'était enfermé dans une routine de vieux couple avec Hortense, heureusement qu'il change dans la deuxième partie pour offrir de très beaux moments.
Il y a ceux avec le fils de Marcel, créant une tension entre eux mais aussi une forme de connexion bizarre, j'attends d'ailleurs avec impatience de voir le traitement que vont en faire les scénaristes dans la saison prochaine, et surtout son attitude repentante envers Hortense, lui fier va aller s'excuser, se pourrait-il qu'il aime vraiment Hortense ?
Cette perspective a changé mon opinion sur le devenir de ces personnages.
Cette saison est sans conteste celle de Lucienne, je suis encore épatée par l'envergure du personnage et la justesse de jeu de Marie Kremer.
Auparavant effacée, nouille, molle, bref des adjectifs peu sympathiques pour la décrire, Lucienne se révèle cette saison une femme sachant garder un secret, prête à aider et n'hésitant pas à risquer sa vie pour un acte de résistance.
Certes, elle finit la saison rongée par ses remords et sa culpabilité chrétienne du baiser (voire plus) échangé avec Marguerite, mais elle a tenu la dragée haute toute la saison et c'est sans nul doute une femme vouée à passer sa vie tiraillée entre ses émotions et sa morale, la morale l'emportant à chaque fois et la laissant à jamais frustrée dans sa vie, une perspective peu alléchante.
Marie Germain dans cette saison c’est comme les marionnettes : "Ainsi font, font, font trois petits tours et puis s’en vont".
Elle apparaît à l’écran, c’est la femme fatale du maquis vêtue de pantalon, Antoine s’en amourache et elle replonge dans les bras de Schwartz, il paraît qu’elle est chef de résistance mais bon, sans arme et recherchée elle ne peut pas faire grand-chose (à part briser des cœurs dans le maquis et jouer une pièce de théâtre), j’espère que ce personnage sera plus présent dans la saison suivante.
Je ne m'attarde pas sur Suzanne, reine de la boulette 1943 (Marcel peut lui dire merci d'avoir été arrêtée) après avoir été sacrée en 1942 et 1941, j'ai même eu l'impression que les scénaristes n'ont vite plus savoir qu'en faire, elle disparaît de la série et je ne la regrette pas.
Sarah, juste le temps de la voir et de lui dire au revoir, exit, direction une destination inconnue, et si le traitement de ce personnage peut paraître léger de la part des producteurs, je trouve qu’il illustre très bien la déportation des Juifs et le terme "Nuit et brouillard" : des personnes qui disparaissent dans un semblant d’indifférence générale pour on ne sait où y devenir on ne sait quoi.
Cette saison se caractérise par des moments très mous et ennuyeux, et d'autres plus forts d'un point de vue émotionnel, comme le défilé des maquisards dans Villeneuve, les scènes dans la prison ou entre des personnages, à ce titre la scène finale dans la cour de l'école avec Lucienne disputant deux fillettes de disputant une poupée est magnifiquement métaphorique, avec une Lucienne disant qu'il n'est pas possible de réparer, faisant une allusion directe à l'exécution de Marguerite qui a lieu au même moment par un membre du réseau de résistance.
Et je dois dire que le meilleur était pour la fin, car si les scènes de théâtre m'ont ennuyée durant toute la saison, la scène clôturant cette saison est magnifique et la dernière image saisissante, mettant en lumière les quelques acteurs par les projecteurs des SS venus les capturer, visuellement c'était du plus bel effet.


Au final, je ne m'étais pas trompée sur la mort de certains personnages, particulièrement celle de Marcel, inévitable à mon sens et extrêmement bien faite.
La surprise est venue de l'exécution de Chassagne en même temps que Marcel Larcher, celle-là je ne l'ai pas vu venir mais difficile de reprocher aux scénaristes d'avoir respecté ce qui s'était passé à Oyonnax, à savoir que le maire et son adjoint ont été exécutés.
Mais je suis aussi déçue car je trouve que les scénaristes ont été trop gentils avec certains de leurs personnages et j'aurais bien vu d'autres morts parmi les résistants, un peu trop épargnés à mon goût mais heureusement sauvés par l'arrivée d'Anselme, un homme qui deviendra sans doute important par la suite dans la résistance à Villeneuve.
J'ai trouvé que le Docteur Larcher était peu présent cette saison, en tout cas il n'a toujours pas choisi de camp et je le vois de plus en plus finir la guerre terré dans un grenier.
Quant à Marchetti, difficile de dire ce qui va advenir de ce personnage trouble, tout comme je ne suis pas sûre de revoir Lucienne et son mari, a priori en partance pour la Suisse.
Au cours de cette saison, les scénaristes ont commencé à esquisser l'avenir de Jeannine, elle s'en sortira sans problème, comme les personnes de son genre à l'époque et c'est assez intéressant à voir.
Tout comme cette saison, les scénaristes ont choisi de nous montrer la femme du Préfet, une femme intelligente et sachant analyser avec pertinence la situation, guidant les choix de son mari.
Elle est très bien assortie avec Jeannine et cela fait plaisir de nous montrer ces femmes modernes et arrivistes, loin de l'image de la mère au foyer véhiculée par Pétain.
Là où j'ai changé d'optique, c'est pour Hortense. Longtemps je me suis demandée si elle allait finir tondue, aujourd'hui je la vois plutôt partir en Allemagne avec Heinrich Müller, lui-même réusissant à passer entre les mailles de la résistance.
Enfin, nul ne peut dire de quoi demain sera fait !


Pour conclure, même si la saison 5 a connu des moments de flottement (et il y en avait quand même quelques uns), j'aime toujours cette série et j'attends avec impatience la suivante qui se passera en 1944, année importante et charnière qui provoquera sans aucun doute un basculement de la série vers sa conclusion en 1945.
Vivement l'année prochaine !

jeudi 28 novembre 2013

Charly 9 de Jean Teulé


Charles IX fut de tous nos rois de France l’un des plus calamiteux. A 22 ans, pour faire plaisir à sa mère, il ordonna le massacre de la Saint Barthélemy qui épouvanta l’Europe entière. Abasourdi par l’énormité de son crime, il sombra dans la folie. Courant le lapin et le cerf dans les salles du Louvre, fabriquant de la fausse monnaie pour remplir les caisses désespérément vides du royaume, il accumula les initiatives désastreuses. Transpirant le sang par tous les pores de son pauvre corps décharné, Charles IX mourut à 23 ans, haï de tous. 
Pourtant, il avait un bon fond. (Julliard)

"C'est cruauté d'être humain et humanité d'être cruel ...", et ô combien difficile d'être roi de France, en tout cas pour Charles IX, un roi calamiteux qui ne laissât pas grande impression dans l'Histoire de France.
Entouré et conseillé par une mère intrigante, une Médicis (pléonasme donc avec le qualificatif d'intrigante), et par son frère cadet envieux de sa place, Charles IX, ou Charly 9 comme l'a appelé Jean Teulé, est un mou incapable de prendre une décision par lui-même et qui accepte d'ordonner la Saint Barthélémy uniquement pour faire plaisir à maman.
Lui si réticent au départ finira par demander qu'aucun protestant ne soit épargné : "Mais tuez-les tous, tous ! Je ne veux jamais voir un seul  visage, entendre un jour une voix qui me le reproche !" et  sera hanté par ce massacre le restant de sa courte vie, sombrant même dans la folie.

Heureusement que Jean Teulé est là pour rendre ses lettres de noblesse, enfin de façon toute relative, à ce roi conspué par la vindicte populaire qui n'est finalement connu que pour le massacre de la Saint Barthélémy.
Jean Teulé a le chic pour donner vie à des personnages historiques, à se glisser dans leur peau pour distiller au lecteur leurs pensées et les rendre plus humains.
Ainsi, ici il est surtout question des sentiments qui habitent Charles IX, homme intéressé par les femmes mais finalement peu par le reste de l'humanité : "Aux civilisations, je préfère les paysages.", roi sans envergure et absolument pas destiné à régner, qui passât l'année qui lui restait à vivre dans le regret et les remords d'avoir autant de sang sur la conscience et sur les mains, même indirectement, et qui au final n'avait pas si mauvais fond.
Certes, il a beaucoup gambergé dans sa tête, à tel point qu'il a sombré dans la folie, chassant le cerf et le lapin dans le Louvre, décidant de frapper monnaie pour renflouer les caisses vides du royaume, mais il est aussi lunatique, passant d'un extrême - celui des regrets du massacre - à l'autre - celui des regrets de ne pas avoir versé assez de sang : "Je n'ai pas assez mis la main au sang de mes sujets ... ce qui est cause que mon destin est imparfait par le manquement de victimes.".
Et sinon, quand tout cela l'embête, il fait l'autruche ou se gave de pâté : "Oh ça, surtout croyez que je ne suis pas fier de cela qui n'est pas mon chef-d'oeuvre. Je compte bien à l'avenir prendre d'autres décisions qui seront meilleures pour les gens. J'ai quelques idées mais là, je voudrais du pâté !".
Même si le lecteur sourit souvent au cours de la lecture, il y a, comme toujours chez Jean Teulé, un fond de vérité historique.
Ainsi, c'est à Charles IX que nous devons le changement d'année au 1er janvier au lieu du 1er avril, ceci étant également la cause des poissons d'avril le 1er de ce mois (et à l'époque ce n'était pas des poissons en papier qu'on mettait dans le dos des gens mais des poissons pourris).
Ce sont des petits détails qui font plaisir à la lecture, soit parce qu'ils nous rappellent des souvenirs soit parce qu'ils nous permettent d'apprendre quelque chose.
Par contre, je ne comprends pas forcément le choix de l'auteur de garder également des éléments faisant partie du mythe : Charles IX transpirant du sang, sa sœur Marguerite se promenant avec la tête de son amant conservé dans du formol.
Certes, cela ne m'a pas gênée dans ma lecture et cela apportait une touche de fantaisie, mais je ne suis pas sûre qu'autant de fantaisie était nécessaire, le livre en contient déjà beaucoup.
Quant au style, et bien c'est dans la pure tradition de Jean Teulé, c'est assez déjanté, jouissif à lire, résolument moderne, et ça se lit extrêmement rapidement.

"Charly 9" est un roman très plaisant à lire, divertissant et instructif à la fois, avec la verve inimitable et si caractéristique de Jean Teulé, pour le plus grand plaisir de la lectrice que je suis.

Un grand merci à Marjolaine pour le prêt de ce livre ! 

mardi 26 novembre 2013

Cinq jours de Douglas Kennedy


Peut-on jamais réinventer sa vie ? 
Laura et Richard 
Deux inconnus à un tournant de leur existence 
Deux êtres, l'un et l'autre enfermé dans son couple 
Un homme, une femme 
Une rencontre, l'espoir qui renaît 
Mais sommes-nous libres de choisir le bonheur ? (Belfond)

Que Douglas Kennedy choisisse une femme comme héroïne d'un de ses romans et qu'il raconte l'histoire à la première personne du singulier, se glissant ainsi dans le corps et l'esprit d'une femme, ceci n'a rien de surprenant, mais qu'il se mette à écrire un roman d'amour l'est plus.
Car "Cinq jours", dernier roman en date paru de l'auteur, est bel et bien un roman d'amour, certes qui ne bascule pas dans une histoire à l'eau de rose mais qui peut surprendre le lecteur.
Laura est donc une femme ayant atteint la quarantaine, mariée depuis de nombreuses années à un mari qu'elle n'aime plus et qui ne l'aime plus, lui faisant même payer par des piques verbales son licenciement, et qui dans le cadre d'un congrès de radiologie va rencontrer Richard, un homme lui aussi malheureux en amour et dans son mariage, exerçant le métier d'assureur.
Ils se rencontrent, ils ne s'attirent pas trop au début, ils discutent ensemble, ils découvrent qu'ils ont plein de points en commun, ils se confient l'un à l'autre, notamment Laura : "Je ne comprenais pas comment j'avais pu partager avec un inconnu l'idée qui me déstabilisait depuis des jours, des mois, des années : la conscience de ma déchirante solitude.", ils croient avoir passé l'âge des contes de fées mais en fait non : "Parce que le grand espoir, cela reste de trouver quelqu'un avec qui traverser tous les mauvais moments que la vie vous réserve. Mais c'est peut-être aussi le conte de fées le plus irréaliste qui soit.", ils s'aiment, font des projets ensemble, c'est formidable.
Quant à savoir si ce bonheur idyllique, cet amour inattendu, et toute la magie de cette rencontre va rester formidable, il n'y a qu'à lire le roman, je n'en dirais pas plus.

La rencontre entre ces deux personnages malheureux et coincés dans un mariage qui ne leur convient plus est magique, d'autant plus qu'elle est inattendue et à la fois prévisible, car ne dit-on pas que c'est lorsqu'on s'y attend le moins qu'on tombe sur l'Amour ?
Il est intéressant de voir sur un laps de temps aussi court se former un couple que rien n'oppose, hormis la présence de leur conjoint respectif, qui font des projets d'avenir et connaissent un Amour véritable et sincère leur offrant la chance d'une seconde vie, d'un même chemin qu'ils pourront emprunter main dans la main : "Un avenir. L'avenir. Le nôtre. Et l'amour, non plus seulement un rêve mais une réalité. Le bonheur à portée de main.".
Au risque de répéter ce qui a déjà été dit sur Douglas Kennedy, moi la première, c'est vraiment très bien écrit (et traduit étant donné qu'il travaille avec le même traducteur depuis le début), et il est toujours aussi surprenant de constater la capacité de cet homme de se mettre dans la peau d'une femme et présentement d'écrire à la première personne du singulier.
Honnêtement, la différence si le livre avait été réellement écrit par une femme est minime, cette propension à entrer dans l'esprit d'une femme est d'ailleurs d'un des points forts de cet auteur.
Outre cela, il sait proposer des histoires originales, bien construites, qui se lisent de façon fluide, et ce dernier roman n'est pas une exception à cette règle, il se lit très facilement et très rapidement, il est difficile de le lâcher une fois commencé.
Mais il y a un petit quelque chose qui m'a gênée parfois, non pas qu'il s'agisse d'une histoire d'amour, ou plutôt si mais pas pour le thème choisi, j'ai parfois été dérangée par le côté trop voyeur de l'auteur dans cette relation naissante.
Même si c'est relativement pudique, bourré d'émotions et intelligent dans le traitement qui est fait des personnages, j'ai parfois eu la sensation d'être trop à l'intérieur de cette romance et d'en lire des parties qui n'appartiennent qu'à Laura et Richard.
Un sentiment un peu étrange mais je ne peux que noter la justesse de l'auteur dans l'analyse qu'il fait de cette relation, tout comme dans son traitement des personnages qui sont incroyablement proches du lecteur et qui pourraient très facilement être croisés dans la vie de tous les jours.
Laura est un personnage extrêmement bien réussi et très attachant, sans doute encore plus d'un lectorat féminin.

"Cinq jours" est un très bon Douglas Kennedy, un roman qui sort de l'ordinaire de l'auteur et qui sous des airs de romance sentimentale cache surtout une histoire on ne peut plus réaliste, l'une des belles découvertes de cette rentrée littéraire 2013.

Un grand merci à Marjolaine pour le prêt de ce livre ! 

Top Ten Tuesday #24


Le Top Ten Tuesday (TTT) est un rendez-vous hebdomadaire dans lequel on liste notre top 10 selon le thème littéraire défini.

Ce rendez-vous a été créé initialement par The Broke and the Bookish et repris en français par Iani.

Les 10 livres de votre PAL que vous voulez vraiment lire mais dont vous repoussez sans cesse la lecture

Ce thème est assez intéressant et m'a permis de faire le point sur des livres qui dorment dans ma PAL depuis trop longtemps.
Je me fixe comme objectif d'en avoir sorti la moitié d'ici fin 2014.

1) "The tenant of Wildfell Hall" d'Anne Brontë : j'ai commencé à le lire mais je me suis arrêtée, ayant moins de facilité à le lire en anglais que les autres livres des soeurs Brontë, depuis je ne l'ai pas ressorti de ma PAL, peut-être qu'une première lecture en français me débloquerait comme cela fut le cas pour "Tess d'Urberville" de Thomas Hardy;
2) "Aurélien" de Louis Aragon : j'ai entendu tellement de bien sur ce livre que ça m'a bloquée dans sa lecture, résultat il dort dans ma PAL;
3) "Voyage au bout de la nuit" de Louis Ferdinand Céline : j'en ai déjà parlé mais là aussi un livre commencé au mauvais moment où je n'ai pas réussi à accrocher et qui depuis dort profondément dans ma PAL;
4) "Les piliers de la terre" de Ken Follett : je freine des pieds (enfin des mains) pour lire ce pavé;
5) "Les Thibault" de Roger Martin du Gard : pourtant ce n'est pas faute de les avoir achetés lorsque le téléfilm a été diffusé, depuis je ne me suis pas décidée à ouvrir les livres;
6) "Les saisons de la nuit" de Colum McCann : un peu plus de 2 ans que ce livre est dans ma PAL mais cette année c'est décidé, je le sors pour le Challenge New York;
7) "Rouge Brésil" de Jean-Christophe Ruffin : pas de raison précise pour que ce livre reste dans ma PAL, peut-être un peu le flou du titre sur l'histoire du roman;
8) "Le choix de Sophie" de William Styron : quelques appréhensions à lire ce livre;
9) "Anna Karénine" de Léon Tolstoï : j'ai quelques craintes à lire du Tolstoï, à savoir si c'est fondé ou non, seule la lecture me le dira;
10) "Si c'est un homme" de Primo Levi : encore plus que pour "Le choix de Sophie" j'appréhende de le lire. 

dimanche 24 novembre 2013

La Strada de Federico Fellini



Gelsomina a été vendue par sa mère a Zampano, qui la brutalise et ne cesse de la tromper. Ils partent ensemble sur les routes, vivant misérablement du numéro de saltimbanque de Zampano. Surgit Il Matto (le fou), violoniste et poète, qui seul sait parler à Gelsomina. (AlloCiné)

"La Strada" est considérée, à juste titre, comme l'un des chefs-d'oeuvre de Federico Fellini et par extension du cinéma mondial.
Le cinéma italien a connu son âge d'or et Federico Fellini fait partie de ces réalisateurs qui ont marqué leur époque et leur génération et dont le nom restera gravé à jamais dans les annales du cinéma.
C'est en 1954 que ce film sort sur les écrans, racontant l'histoire de Gelsomina, une fille un peu simple, vendue par sa mère à Zampano, un forain ambulant spécialisé dans des tours de force.
Gelsomina s'attache très vite à Zampano qui le lui rend mal, la brutalisant, la traitant comme une bonne à tout faire et ne lui accordant pas la moindre attention.
La seule personne qui comprendra Gelsomina sera "le Fou", un forain réalisant un numéro périlleux de funambule.



L'histoire est somme toute assez simple et banale, mais Federico Fellini a su la mettre en scène et la filmer avec beauté et oui, même si le film est en noir et blanc, les teintes sont vraiment très belles et accentuent les côtés poétique et dramatique de l'histoire et du destin des personnages.
Intéressant également de voir que l'adaptation en français des dialogues a été faite par Raymond Queneau.
Quant aux personnages, il est très difficile de ne pas s'attacher à la simple mais si touchante Gelsomina, interprétée avec brio par Giuletta Massina, l'épouse de Federico Fellini à la ville et à vie; quant au sauvage et rugueux Zampano, interprété par Anthony Quinn, le spectateur finit par éprouver à son égard une forme d'attachement mais aussi de pitié, voyant cet homme s'enfoncer dans sa solitude et refusant le contact d'autrui.
Pourtant, le spectateur a espéré l'espace d'un instant que Gelsomina finirait par ouvrir les yeux à Zampano, mais celui-ci ne le fera que bien trop tard, homme brutal et aimant sa solitude il est et il le restera.
Difficile de ne pas éprouver une forme de chagrin envers cet homme, encore plus envers Gelsomina, une fille issue d'un milieu pauvre qui de toute sa vie n'aura pas réellement connu le bonheur, aura traîné sa misère chez sa mère et sur les routes en compagnie de Zampano, vivant de numéros attirant peu de foule et qui sans jamais tomber dans l'absurde réussiront à arracher quelques sourires et rires aux spectateurs.
Et puis il y a Richard Basehart dans le rôle d'Il Matto, le rouage qui vient déranger la mécanique bien huilée de l'étrange duo formé par Gelsomina et Zampano, avec une scène de poursuite entre les deux hommes à la fois hilarante et triste, un combat de coqs pour une femme que l'un comme l'autre n'aiment pas forcément, ou alors sans s'en rendre compte.
En tout cas, une belle façon de revisiter le triangle amoureux, avec une brute, un saltimbanque et une ingénue.
Au final, "La Strada" s'avère être un film reflétant une misère sociale dans l'Italie d'après-guerre qui peine à se reconstruire.


Mais "La Strada", c'est aussi un air musical mondialement connu composé par Nino Rota.
La musique tient un rôle très important dans ce film, elle sublime les images et l'histoire et n'y est sans doute pas pour rien dans le succès de ce film.
Et puis, il y a les magnifiques paysages d'Italie qui tiennent lieu de cadre à l'histoire, une nature ayant conservé un côté sauvage à l'image de Zampano et tout à la fois une certaine douceur à l'image de Gelsomina.
Le choix des décors naturels pour tourner ce film y est également pour beaucoup dans sa beauté, ayant le mérite de montrer un aspect de l'Italie qui n'est pas forcément le plus connu, renforçant qui plus est le côté social et miséreux montré par le réalisateur.
A cette époque d'ailleurs, Federico Fellini était encore influencé par le néoréalisme italien.
Ce qui explique aussi sans doute le côté magique de son film, car si Zampano ne connaît pas le succès avec ses numéros de saltimbanque, la magie, elle, est bien présente durant tout le film, de la première image à la dernière.


"La Strada" fait partie de ces films qu'il faut avoir vu au moins une fois dans sa vie, un film remarquable, de toute beauté, construit sur une histoire simple mais servi par des acteurs plus vrais que nature pour donner vie aux personnages.
Alors oui, "La Strada" est un film culte et ce titre n'est absolument pas usurpé mais largement mérité.


Pietra viva de Léonor de Récondo


Michelangelo, en ce printemps 1505, quitte Rome bouleversé. Il vient de découvrir sans vie le corps d’Andrea, le jeune moine dont la beauté lumineuse le fascinait. Il part choisir à Carrare les marbres du tombeau que le pape Jules II lui a commandé. Pendant six mois, cet artiste de trente ans déjà, à qui sa pietà a valu gloire et renommée, va vivre au rythme de la carrière, sélectionnant les meilleurs blocs, les négociant, organisant leur transport. Sa capacité à discerner la moindre veine dans la montagne a tôt fait de lui gagner la confiance des tailleurs de pierre. Lors de ses soirées solitaires à l’auberge, avec pour seule compagnie le petit livre de Pétrarque que lui a offert Lorenzo de Medici et la bible d’Andrea, il ne cesse d’interroger le mystère de la mort du moine, tout à son désir impétueux de capturer dans la pierre sa beauté terrestre. Au fil des jours, le sculpteur arrogant et tourmenté, que rien ne doit détourner de son œuvre, se laisse pourtant approcher : par ses compagnons les carriers, par la folie douce de Cavallino, mais aussi par Michele, un enfant de six ans dont la mère vient de mourir. La naïveté et l’affection du petit garçon feront resurgir les souvenirs les plus enfouis de Michelangelo. Parce qu’enfin il s’abandonne à ses émotions, son séjour à Carrare, au cœur d’une nature exubérante, va marquer une transformation profonde dans son œuvre. Il retrouvera désormais ceux qu’il a aimés dans la matière vive du marbre. (Sabine Wespieser)

De Michelangelo, il ne reste essentiellement que son oeuvre, de la vie de l'homme il y a des aspects connus et d'autres qui resteront méconnus à jamais.
C'est plus à l'homme qu'à l'artiste de génie que s'est intéressée Léonor de Récondo, à l'homme amoureux de la beauté sous toutes ses formes qui prend à ce moment-là les traits d'Andrea, un jeune moine : "Sa jeunesse, sa beauté lumineuse, sa force à soulever si franchement la mort ne pouvaient faire de lui que le fils de Dieu.".
Mais Andrea meurt et Michelangelo fuit alors Rome pour Carrare, afin d'y choisir les marbres qu'il travaillera pour le tombeau du pape Jules II et tenter de graver dans le marbre les traits parfaits d'Andrea pour que jamais il ne quitte ses souvenirs : "Andrea, tu es la beauté que je ne saurai jamais atteindre avec mon ciseau. Tu es la preuve ultime de la supériorité de la nature sur mon art. Te voir me rappelle mon inutilité.".
Michelangelo court après un idéal de beauté qu'il se sent incapable d'atteindre par son art, piètre croyant il mystifie la beauté d'Andrea qu'il rapproche alors de celle de Dieu, et en homme de l'art il fuit tout semblant de relations humaines, choisissant de passer pour un quasi monstre dénué de sentiments aux yeux des autres, un être supérieur sans toutefois se prendre pour Dieu, plutôt que de s'attacher aux personnes qui l'entourent : "Tu te crois supérieur, mais la vérité c'est que tu n'as pas de cœur et que tout le monde se moque de tes personnages !".
Le Michelangelo de Léonor de Récondo est un homme pétri d'antagonismes, qui s'est bâti sur les fantômes du passé et qui présentement noie sa peine dans le travail à venir, en choisissant avec soin les plus beaux marbres extraits des carrières de Carrare, le marbre le plus parfait au monde grâce auquel il a connu la gloire avec sa Pieta.
Michelangelo voudrait ne se définir que comme un artiste, un sculpteur donnant vie à la pierre : "Dénuder la pierre et ne laisser, en son centre, que son cœur battant.", mais il oublie qu'il est aussi un homme qui a besoin de la présence des autres à ses côtés.
Peu à peu au cours de son séjour, il va s'ouvrir : à Cavallino le fou qui aime à penser qu'il est un cheval, et à Michele, un petit garçon qui va faire tomber le mur dans lequel s'est retranché Michelangelo.
Et c'est en s'ouvrant aux autres qu'il va retrouver une forme de grâce dans ses œuvres à venir.
Il y a donc l'histoire de cet homme qui s'inscrit dans la grande Histoire, une histoire faite de sentiments et d'émotions, de la difficulté d'ouvrir son cœur aux autres; et puis il y a l'Italie, personnage vivant qui appelle le lecteur à venir mettre ses pas dans ceux de Michelangelo pour découvrir toutes les beautés dont regorge ce pays.
Quant à la plume de Léonor de Récondo, elle est précise, nette, sans bavure, emplie d'émotions, magnifique par la beauté qui s'en dégage et qui n'est pas sans rappeler une partition de musique bien exécutée.
Au demeurant, ceci n'est que peu surprenant puisque l'auteur est musicienne, plus précisément violoniste, et si je n'ai à ce jour encore écouté aucun enregistrement d'elle, je perçois déjà la beauté de sa musique à travers le choix et l'ordonnancement de ses mots.

Léonor de Récondo m'avait déjà bluffée avec son magnifique "Rêves oubliés", elle livre avec "Pietra viva" un troisième roman de toute beauté, dans la lignée du précédent, qui émerveille par l'émotion qui s'en dégage et la beauté du style.
"Pietra viva" est l'une des perles de cette rentrée littéraire 2013, publiée aux éditions Sabine Wespieser dont je ne pense que du bien, et Léonor de Récondo est une auteur à part entière qui n'a plus besoin de faire ses preuves, je la considère d'ailleurs comme l'une de mes plus belles découvertes littéraires de ces dernières années.

Livre lu dans le cadre du Challenge Il Viaggio


La Pieta de Michelangelo


Le David de Michelangelo

samedi 23 novembre 2013

Esprit d'hiver de Laura Kasischke


Réveillée tard le matin de Noël, Holly se voit assaillie par un sentiment d'angoisse inexplicable. Rien n'est plus comme avant. Le blizzard s'est levé, les invités se décommandent pour le déjeuner traditionnel. Holly se retrouve seule avec sa fille Tatiana, habituellement affectueuse, mais dont le comportement se révèle de plus en plus étrange et inquiétant... (Christian Bourgeois Editeur)

Vous est-il déjà arrivé de vous réveiller un matin en éprouvant la sensation que quelque chose cloche, ne va pas ?
Et bien c'est ce qu'a ressenti Holly en ce matin de Noël : "Ce matin-là, elle se réveilla tard et aussitôt elle sut : Quelque chose les avait suivis depuis la Russie jusque chez eux.", en identifiant que ce quelque chose venait de Sibérie, pays dans lequel Holly et son mari ont été il y a treize ans pour y adopter leur fille Tatiana.
Mais c'est plus qu'une sensation que ressent Holly, c'est comme une certitude qu'un élément extérieur et perturbateur est dans la maison depuis treize ans : "Quelque chose avait été là depuis le début. A l'intérieur de la maison. A l'intérieur d'eux-mêmes. Cette chose les avait suivis depuis la Russie jusque chez eux.", et c'est au même moment qu'elle ressent l'envie soudaine, le besoin impérieux d'écrire, pour mettre des mots sur son ressenti alors qu'elle n'a plus écrit une ligne depuis des années, tout simplement parce qu'elle bloque et n'arrive plus à aligner des mots, que sa vie a changé et que désormais il n'y a plus de place pour l'écriture : "En fait, son blocage d'écriture était peut-être une bénédiction, puisque sa vie n'aurait pu accueillir une activité de plus sans éclater en un milliard de morceaux.".
Et puis, en ce matin de Noël, il y a Eric, le mari de Holly qui se réveille en retard et se précipite à l'aéroport pour aller y chercher ses parents; et leur fille Tatiana, boudeuse, énervée, irritée, agaçante, certes adolescente mais au comportement aux antipodes de celui qui est le sien habituellement.

Laura Kasischke propose dans ce roman un huis-clos entre Holly et sa fille Tatiana, un huis-clos bien loin de l'esprit de Noël, aussi noir que dehors le sol est blanc du blizzard qui s'est levé, a bloqué la circulation et a contraint les invités à rester chez eux.
Au cours de cette journée, Holly va revivre par flashback l'adoption de Tatiana en Sibérie il y a treize ans, l'immense joie des premiers instants avec la découverte de cette petite fille, les premières années de Tatiana, sa vie idyllique de famille moyenne américaine entourée de son mari et de leur fille; mais elle va aussi livrer ses démons intérieurs peuplés des morts de sa famille : sa mère, ses sœurs, la malédiction qui les touche par un gène défectueux générant le cancer du sein.
Holly est une survivante, pour avoir une chance d'atteindre la quarantaine voire plus et ne pas subir le même sort que toutes les femmes de sa famille elle a subi jeune l'ablation de ses seins et de ses ovaires, la rendant stérile.
Mais elle a aussi dû affronter le suicide d'une de ses sœurs, le fait d'avoir été élevée par elles plutôt que par sa mère, autant d'aspects qui font de Holly une personne extrêmement fragile sur le plan psychologique, mais également une femme hors norme qui, comme elle le dit, a dû apprendre à supprimer ses sentiments : "Ce que Holly avait eu besoin d'apprendre, c'était à supprimer ses sentiments - ce que les humains réussissaient avec succès depuis la nuit des temps, la preuve en étant qu'ils parvenaient à se lever le matin, à manger, à procréer malgré l'horreur inexplicable de la mort qui attendait, potentiellement et inéluctablement, à chaque coin de rue."; et se tient depuis lors farouchement éloignée des médecins, philosophie qu'elle appliqué également à sa fille.
La construction de ce roman est intelligente, c'est à travers le prisme de Holly que l'auteur raconte l'histoire, et autant dire que cela lui a donné la possibilité de manipuler le lecteur comme elle le souhaitait, ce que Laura Kasischke d'ailleurs fait avec brio tant la fin est renversante bien que légèrement prévisible quand le lecteur est attentif à de petits détails semés ici et là.
Aux yeux de Holly, Tatiana en ce jour de Noël n'a pas un comportement habituel, le lecteur ne peut que le constater par le point de vue de la mère, mais il est aussi en mesure de juger le comportement de Holly comme tout aussi étrange et nourri d'antagonismes : une femme qui souhaitait plus que tout être mère, ne pas reproduire l'univers dans lequel elle avait vécu enfant, que sa fille ne se sente pas comme une pièce rapportée; et qui d'un autre côté refuse d'emmener sa fille chez le médecin, lui balance des phrases dures au visage, dénotant parfois un quasi manque d'amour maternel et se retient de lui rappeler ses origines modestes et la chance qu'elle a eue d'être adoptée par des américains :  "Holly s'apprêtait à dire quelque chose, peut-être quelque chose qu'elle regretterait, concernant les jeunes Américains égoïstes et les excès pitoyables de ces Noëls américains, et, peut-être plus horrible encore, quelque chose au sujet de l'orphelinat Pokrovka n° 2 et des enfants qui s'y trouvaient encore au lieu d'être ici - mais avant que les mots lui échappent, Tatty avait disparu comme si une trappe venait de s'ouvrir sous ses pieds pour l'aspirer.".
Tatiana est fuyante, Holly est instable, c'est un roman psychologique que livre ici Laura Kasischke se déroulant sur une journée complète.
Pour apprécier ce roman il faut accepter une narration lente, qui prend le temps de poser les personnes et les événements, faite de nombreux retours en arrière dont la chronologie n'est pas toujours respectée; en tout cas un style de narration qui m'a portée dans ce récit, dont j'ai savouré chaque ligne et particulièrement la fin si abrupte et déshumanisée mais apportant un nouvel éclairage sur l'ensemble du roman, à tel point que j'ai eu envie de le recommencer pour découvrir les indices qui m'avaient échappé à la première lecture.

Avec "Esprit d'hiver", je découvrais Laura Kasischke comme auteur américaine et je dois dire que j'ai été bluffée par son style, sa maîtrise et les émotions qui se dégagent de son récit.
Laura Kasischke n'est pas qu'une fine observatrice et psychologue des émotions, elle possède également un très beau brin de plume que j'espère retrouver dans ses autres romans qu'il me reste à découvrir.

Si je devais mettre une note à ce livre : 17/20

Je remercie Oliver de Price Minister et Christian Bourgeois Editeur pour l'envoi de ce livre dans le cadre des Matchs de la Rentrée Littéraire 2013 organisés par Price Minister.



Livre lu dans le cadre du Challenge Romancières américaines


jeudi 21 novembre 2013

Le Prix des Lectrices - Club des Lectrices : Et le(a) gagnant(e) est ...


Il y a un an, le Club des Lectrices a créé son Prix des Lectrices récompensant l’un des livres coup de cœur 2012 des membres de ce Club.

La sélection était :
- Lili Galipette : "La folie du roi Marc" de Clara Dupont-Monod
- George : "Lira bien qui lira le dernier" de Hubert Nyssen
- Accalia : "Suite française" d’Irène Némirovsky
- Delphine : "Le boulevard périphérique" de Henry Bauchau
- Marjolaine : "Du domaine des murmures" de Carole Martinez
- Violette : "Certaines n’avaient jamais vu la mer" de Julie Otsuka
- Miss Bouquinaix : "Entre ciel et terre" de Jon Kalman Stefansson
- Sophie : "Tess d’Urberville" de Thomas Hardy 
- Moi : "A défaut d’Amérique" de Carole Zalberg 

En octobre le Club a retenu les 3 finalistes :

- "Suite française" d’Irène Némirovsky


- "Entre ciel et terre" de Jon Kalman Stefansson


- "Le boulevard périphérique" de Henry Bauchau


Ce dimanche, le Prix a été décerné, avec 5 votes, à …

"Suite française" d’Irène Némirovsky



Le Prix des Lectrices 2013/2014 a été lancé et, sans pouvoir encore la dévoiler, la sélection est alléchante ! 

mardi 19 novembre 2013

Top Ten Tuesday #23


Le Top Ten Tuesday (TTT) est un rendez-vous hebdomadaire dans lequel on liste notre top 10 selon le thème littéraire défini.

Ce rendez-vous a été créé initialement par The Broke and the Bookish et repris en français par Iani.

La première phrase des 10 derniers livres que vous avez lus

TTT fait à partir des livres lus en ma possession, sans tenir compte des livres empruntés en bibliothèque et rendus avant l’annonce du thème, et pas forcément à jour au moment de la publication car le billet est préparé à l'avance.

1) "Fleur de tonnerre" de Jean Teulé - "Ah mais ne cueille pas ça, Hélène, c'est une fleur de tonnerre.";
2) "Jeanne" de Jacqueline de Romilly - " "Jeanne au bracelet d'argent" : c'est ainsi qu'on l'appelait à cette époque quand elle avait seize ou dix-sept ans."; 
3) "A tombeau ouvert - Cinq histoires du corps des Marines" de William Styron - "Au milieu des tourbillons malodorants et des courants dangereux qui se forment au confluent de l'Upper East River et du détroit de Long Island se trouve une petite île basse.";
4) "Esprit d'hiver" de Laura Kasischke - "Ce matin-là, elle se réveilla et aussitôt elle sut : Quelque chose les avait suivis depuis la Russie jusque chez eux."
5) "Le chant du monde" de Jean Giono - "La nuit. Le fleuve roulait à coup d'épaules à travers la forêt, Antonio s'avança jusqu'à la pointe de l'île."
6) "Pietra Viva" de Léonor de Recondo - "La lumière entre par les fenêtres en ogives.";
7) "Raison et sentiments" de Jane Austen - "La famille Dashwood était établie depuis longtemps dans le Sussex.";
8) "L'énigme des Blancs-Manteaux" de Jean-François Parot - "Dans la nuit du 2 février 1761, un équipage avançait péniblement sur la voie qui conduit de la Courtille à la Villette.";
9) "Amours en marge" de Yoko Ogawa - "J'ai fait la connaissance de Y dans une petite salle d'une vieil hôtel situé dans une rue derrière la clinique F.";
10) "La dernière conquête du major Pettigrew" de Helen Simonson - "Encore bouleversé par le coup de téléphone qu'il venait de recevoir de l'épouse de son frère, le major Pettigrew ouvrit sa porte, sans réfléchir.".

dimanche 17 novembre 2013

Petite descente en librairie ce dimanche


Ce dimanche, après le Club des Lectrices, j'ai fait une petite descente en librairie (et oui, il y a des bouquinistes ouverts le dimanche), accompagnée de George et Miss Bouquinaix (deux très bonnes vendeuses tentatrices).

J'ai été la moins sérieuse des trois (il faut dire que l'argument "Celui-là si tu ne le lis pas on ne te parle plus" est relativement efficace, l'ayant moi-même testé sur d'autres personnes), je suis repartie avec 13 livres, tous d'occasion.

Dans mon mes sacs, il y avait :
- "Saga" de Tonino Benacquista
- "Avis de tempête" de Susan Fletcher
- "Une odeur de gingembre" d'Oswald Wynd
- "Conflits de famille" d'Alison Lurie
- "Comme une vague" de Dorothy Parker
- "L'accompagnatrice" de Nina Berberova
- "Testament à l'anglaise" de Jonathan Coe
- "Bienvenue au club" de Jonathan Coe
- "Le livre de Dina" Tomes 1 à 3 de Herbjørg Wassmo
- "La Storia" Tomes 1 et 2 d'Elsa Morante

Plusieurs personnes m'ayant dit beaucoup de bien de Jonathan Coe j'ai pris deux livres de lui pour approfondir ma découverte de cet auteur, il en va de même pour "Le livre de Dina" et "Une odeur de gingembre".
Plusieurs livres ont aussi été pris pour s'inscrire dans des challenges : Romancières américaines, Il Viaggio.

N'ayant pas fait baisser ma PAL récemment je ne culpabilise pas de l'avoir garnie de nouveaux venus, et j'ai réussi à faire un peu de place sur ma bibliothèque pour caser tous les livres, tout est bien qui finit bien !

L'arbre de Julie Bertuccelli



En Australie, Dawn et Peter vivent heureux avec leurs quatre enfants à l'ombre de leur gigantesque figuier. Lorsque Peter meurt brutalement, chacun, pour continuer à vivre, réagit à sa manière. Simone, la petite fille de 8 ans, croit que son père vit à présent dans l'arbre. Un jour, elle initie Dawn à son secret... Peu à peu Dawn retrouve des forces, un travail. Peut-être un nouvel amour ? La vie reprend mais l'arbre devient envahissant : ses branches, ses racines, et même son peuple de grenouilles et de chauves-souris se lancent à l'assaut de la maison et menacent ses fondations ! Dawn n'a plus le choix : elle doit le faire abattre... (AlloCiné)

De l'Australie, ce film permet de voir les grands étendues à perte de vue, le film s'ouvre d'ailleurs sur cette très belle séquence d'un camion portant une maison et roulant sur une route perdue au milieu de paysages semi-désertiques; ainsi que cet arbre gigantesque aux racines galopantes qui veille jalousement sur la maison de Dawn et Peter.
C'est pourquoi il est tout naturel que lorsque Peter meurt brusquement, sa fille Simone et par la suite sa femme Dawn ainsi que les autres enfants finissent par croire que Peter s'est réincarné dans cet arbre et que mal agir, dans le cas de Dawn aimer à nouveau un autre homme, ou mal penser, vouloir couper cet arbre, c'est faire du mal à la réincarnation de Peter qui manifeste alors son mécontentement.
Simone est sans nul doute l'enfant du couple la plus attachante, celle qui croit en son père et à sa réincarnation et qui amènera progressivement sa mère à partager cette pensée, celle qui reste naturelle et sauvage, qui communique avec l'arbre, réussissant ainsi à surmonter son deuil à un si jeune âge.



Dans cette histoire, il est beaucoup question de deuil, de la façon dont chacun appréhende ce passage.
Dawn se laissera complètement abattre et ne sera plus capable de faire quoi que ce soit hormis passer sa journée au lit à pleurer, ne s'occupant même plus de ses enfants ou des aspects matériels de la vie quotidienne comme faire les courses.
Ce sont ses enfants qui prennent le relais, qui deviennent à la fois le père et la mère de famille et le parent de leur propre mère, situation on ne peut plus troublante et hors du commun.
Et puis, Dawn finit par s'éveiller de nouveau à la vie, elle prend un travail, rencontre un homme : George, peut-être un nouvel amour, mais l'arbre est là, toujours implacable à se rappeler à son souvenir, que ce soit en envoyant dans la maison des grenouilles dans la cuvette des toilettes ou une chauve-souris dans la cuisine en pleine nuit.
L'arbre devient envahissant, ses racines ne cessent de croître et de rendre de plus en plus périlleuse la vie dans cette maison.
Il ne reste plus à Dawn que de devoir le faire abattre, mais là encore, la raison l'emporte-t'elle sur ses sentiments ?



Métaphoriquement, ce film est relativement beau et l'idée de traiter la période de deuil par le prisme d'un arbre est originale, tout comme la tempête à la fin du film qui dévaste tout et offre la possibilité de commencer une nouvelle vie ailleurs.
Charlotte Gainsbourg est très juste dans ce rôle de femme éplorée par la disparition de son mari et de mère soucieuse du bien-être de ses enfants une fois qu'elle se sera ressaisie.
Ce rôle lui va bien et elle le porte très bien, avec un jeu en retenu mais permettant de saisir les sentiments qui se battent à l'intérieur de son esprit et de son corps.
La révélation du film est Morgana Davies, une toute jeune fille qui incarne très bien Simone, l'enfant rebelle et sauvage qui cherche à être heureuse malgré la douloureuse perte qu'elle a connue et qui se bat bec et ongles pour sauver l'arbre auquel elle tient dans et dans lequel elle entend la voix de son père.
Quant à la musique de ce film, je n'ai retenu que les chansons d'ouverture et de fermeture, je ne suis même pas sûre qu'une bande originale ait été créée.
Il faut dire que c'est un film psychologique qui n'a pas besoin de musique pour accompagner les images.


"L'arbre" de Julie Bertuccelli est un beau film traitant du deuil et de la vie qui reprend ses droits dans une Australie sauvage où la nature est toute puissante et le fait savoir.
A voir pour la justesse de jeu des acteurs et les très belles métaphores qu'il contient.

vendredi 15 novembre 2013

Le chant du monde de Jean Giono


Le matin fleurissait comme un sureau. Antonio était frais et plus grand que nature, une nouvelle jeunesse le gonflait de feuillages. -Voilà qu'il a passé l'époque de verdure, se dit-il. Il entendait dans sa main la truite en train de mourir ; Sans bien savoir au juste, il sa voyait dans son île, debout,, dressant les bras, les poings illuminés de joies arrachées au monde, claquantes et dorées comme des truites prisonnières. Clara, assise à ses pieds, lui serrait les jambes dans ses bras tendres. (Folio)

Ma seule et unique lecture à ce jour de Jean Giono était "Le hussard sur le toit" il y a plusieurs années de cela.
La beauté du texte m'avait tellement émue que je n'avais pas pu ouvrir depuis lors un autre livre de cet auteur.
Ce sont des choses qui arrivent, parfois.
Et puis, je suis tombée sur ce résumé et poussée par la curiosité j'ai eu envie de lire un autre roman de Jean Giono.

J'avais oublié à quel point la lecture de cet auteur peut être viscérale.
Dans "Le chant du monde", je n'ai pas été que transportée par l'histoire mais j'ai vécu avec les personnages, je les ai suivis en pays Rebeillard et j'ai vécu leur épopée.
Antonio est l'homme du fleuve, celui qu'on appelle "Bouche d'or", qui charme par sa voix et vole des nuits aux jeunes femmes; tandis que son ami Matelot est un homme des bois qui vient le trouver, inquiet parce que son fils, le Besson, l'homme aux cheveux rouges, est parti chercher du bois en pays Rebeillard et n'est toujours pas revenu.
C'est le seul fils qu'il leur reste, à Matelot et sa femme Junie.
Antonio n'hésite pas un instant à accompagner son vieil ami en pays Rebeillard, et durant leur périple, leur route croisera celle de Clara, une jeune accouchée aveugle qui touchera au plus haut point Antonio, transformant cet homme en un amoureux qui ne se sait pas, prêt à tout pour la femme qu'il a choisi : "Il aurait voulu être désigné seul par la vie pour conduire Clara à travers tout ce qui a une forme et une couleur.".
Quant à Matelot, il lui faudra apprendre à comprendre ce fils qu'il a pourtant engendré et dont il ne sait ce qu'il est devenu et ce qu'il a bien pu faire en pays Rebeillard : "On ne fait pas des enfants rien qu'avec du lait caillé, vieux père. Et on ne les fait pas comme on veut. On les fait comme on est et ce qu'on est on ne sait pas. On a tant de choses dans son sang.".

"Le chant du monde" est un roman vivant, véritable hymne à la Nature, un personnage à part entière : "Ça sentait la mousse et la bête.Ça sentait aussi la boue; cette odeur âpre, un peu effrayante qui est l'odeur des silex mâchés par l'eau. De temps en temps il y avait aussi une odeur de montagne qui venait par le vent devant. Antonio releva sa manche de chemise et il renifla tout le long de son bras. Il avait besoin de cette odeur de peau d'homme.".
C'est au rythme de trois saisons que les personnages vont évoluer : tout d'abord l'automne, période à laquelle ils entament leur périple vers le pays Rebeillard, l'hiver qu'ils y passent et enfin le printemps qui éclot et les ramène à leur point de départ.
Les personnages ne sont pas les seuls à évoluer durant ces trois saisons, la Nature elle aussi s'adapte, jusqu'à devenir hostile sous la neige pour renaître au dégel et redevenir une alliée, mais toujours omniprésente, à la fois dans l'esprit des personnages : Antonio n'attend que de pouvoir se baigner nu dans sa rivière comme il le fait d'ordinaire, et dans le récit de l'auteur.
Quant au chant du monde qui donne son titre au roman, il est lui aussi extrêmement présent dans toutes les descriptions : "Les bois se décharnaient. De grands chênes vernis d'eau émergeaient de l'averse avec leurs énormes mains noires crispées dans la pluie. Le souffle feutré des forêts de mélèzes, le chant grave des sapinières dont le moindre vent émouvait les sombres corridors, le hoquet des sources nouvelles qui crevaient au milieu des pâtures, les ruisseaux qui léchaient les herbes à gros lapements de langue, le grincement des arbres malades déjà nus et qui se fendaient lentement, le sourd bourdon du fleuve qui s'engraissait en bas dans la vallée, tout parlait de désert et de solitude.".
Le style de Jean Giono est magnifique mais pas forcément saisissable d'entrée de lecture, il faut tout simplement apprendre à se détacher d'une écriture moderne pour se laisser porter par la magie de la plume de Jean Giono, dévidant les mots dans une langue ancienne qui n'existe plus mais qu'il fait renaître et qui n'apparaît à aucun moment démodée.
Quant à l'histoire, elle est très touchante sur le plan humain, il n'y a presque que Jean Giono qui sache écrire de si beaux coups de foudre, celui de Clara et d'Antonio n'étant pas sans rappeler celui de Pauline avec Angelo dans "Le hussard sur le toit", et très viscérale dans sa façon d'être.
C'est le midi, le pays où il faut laver l'honneur souillé et où la vengeance est de mise, c'est violent mais à la fois très fraternel et l'amour est au centre de l'histoire, toujours.

A la lecture de ce livre, je me suis souvent dit : "C'est beau comme du Giono.".
Normal, puisque c'est de Jean Giono.
"Le chant du monde" est une oeuvre forte qui transporte le lecteur dans une histoire qui prend au cœur et aux tripes, un récit vivant véritable hymne à la nature, à découvrir ou à re-découvrir de toute urgence.

Livre lu dans le cadre du Club des Lectrices

Instantané de transport #2


Parce que la curiosité littéraire n'est jamais un vilain défaut ...

Parmi mes voisines de métro, l'une lit "Sauvez votre corps" (de Catherine Kousmine) tandis que l'autre cherche à percer "L'ultime secret du Christ" (de José Rodriguez dos Santos).

Pour ma part, j'ai presque achevé de percer à jour ce qui perturbe tant l'héroïne du roman que je lis (celle qui s'est réveillée le matin de Noël en se disant que quelque chose clochait dans sa maison), et le bouquet final risque d'être explosif !

Je lis (toujours) "Esprit d'hiver" de Laura Kasischke, et après, je pars sur les traces de Michelangelo avec "Pietra Viva" de Léonor de Recondo. 

jeudi 14 novembre 2013

Instantané de transport #1


RER A, 7h40 du matin.

Une fille, un garçon, en couple ou simplement ami, la discussion ne le dit pas.

La fille : Non mais elle est grave la fille ! V'là tout ce qu'elle raconte sur moi dans mon dos ! Et ensuite elle me parle, alors qu'elle sait que je sais ce qu'elle a dit. Nan mais elle raconte n'importe quoi ! Comme quoi je suis anorexique ! Non mais où elle va chercher ça ? Moi ? Anorexique ? Je pèse 50 kilos ! 
Le garçon : Hum-hum
La fille : Elle m'a trop prise pour une conne, ça m'a grave soûlée ! Je la défends devant tout le monde et le lendemain elle me plante un couteau dans le dos ! Non mais c'est comme si je te parlais un jour pour t'enfoncer le lendemain ! Et après elle va dire que je chiale pour rien ! Et attends, l'autre jour elle vient me voir toute contente : "Regarde j'ai mis du fond de teint !", bah ouais mais c'est juste du fond de teint, c'est pas un exploit. La prochaine fois comment je lui réponds que je m'en fiche de son fond de teint vu que de toute façon je suis qu'une chialeuse.
Le garçon - petit rire : Oui, et elle n'a qu'à se tartiner le pot, ça ne changera rien.
La fille : Ah ouais, non mais on a le même âge mais comment ça m'énerve son attitude et bla bla bla ...

Ok, ta vie elle est trop dure, la fille c'est grave pas bien sa façon d'agir.
Non, vraiment, je comprends que ça puisse foutre les boules.
Mais tu n'es pas au bout de tes surprises, des couteaux dans le dos c'est à la pelletée que tu vas en recevoir quand tu travailleras (ça devrait être précisé dans le contrat de travail qu'on sera également une cible mouvante pour lanceur/se de couteaux aux dents raclant le parquet et abîmant la moquette), dis-toi que ce n'est que le début.
Et au passage, le crier dans le RER ne va pas arranger la chose.
Et, toujours au passage, je ne sais si c'était ton copain ou un ami mais il avait du mérite le garçon de t'écouter religieusement, d’acquiescer à tous tes propos, c'est rare d'avoir quelqu'un à qui parler, mais c'est aussi très bien quand ça reste dans l'intimité et que ça n'est pas partagé avec toute une rame, même partiellement vide.

Mais le vrai fond du problème, c'est que tu te prends le chou pour une fille qui n'en vaut pas la peine, alors que l'héroïne de mon livre, elle vit un vrai drame, elle.
Elle se réveille le matin de Noël et elle a la sensation que quelque chose a changé, que quelque chose est là mais elle n'arrive pas à mettre le doigt dessus.
Pire que cela encore : "Quelque chose les avait suivis depuis la Russie jusque chez eux.", et la Russie, c'était il y a 13 ans.
C'est pourquoi je souhaiterais pouvoir partager des questions métaphysiques uniquement avec l'héroïne du roman que je lis et non avec une illustre inconnue du RER dont je ne recroiserai certainement jamais le chemin.
Parce qu'entre une histoire de copines (qui n'en sont pas) et ce doute qui s'insinue dans son esprit, et à cette heure-là du matin, je ne peux pas me concentrer sur tout.
Quitte à choisir, je choisis l'héroïne du roman qui sent que quelque chose cloche sans savoir quoi, sans doute aussi parce que je ne me suis jamais réveillée un matin de Noël angoissée par la pensée que quelque chose m'a suivi depuis la Russie jusqu'à chez moi.
Et comme je ne connaîtrais sans doute jamais cette sensation, j'aimerais bien savoir ce qui a pu la provoquer chez l'héroïne.

Je lis "Esprit d'hiver" de Laura Kasischke.

mardi 12 novembre 2013

Top Ten Tuesday #22


Le Top Ten Tuesday (TTT) est un rendez-vous hebdomadaire dans lequel on liste notre top 10 selon le thème littéraire défini.

Ce rendez-vous a été créé initialement par The Broke and the Bookish et repris en français par Iani.

Les 10 couvertures de livres que j’aurais aimées différentes

1) "Mildred Pierce" de James M. Caine


2) "Rêves oubliés" de Léonor de Récondo


3) "Des milliards de tapis de cheveux" d'Andreas Eschbach


4) "Dans la ville des veuves intrépides" de James Canon


5) "La nuit éternelle" de Guillermo del Toro et Chuck Hogan


6) "Barbe bleue" d'Amélie Nothomb


7) "Légendes d'automne" de Jim Harrison


8) "Hate List" de Jennifer Brown


9) "Etoiles" de Simonetta Greggio


10) "Le roamn du mariage" de Jeffrey Eugenides