dimanche 27 avril 2014

Il faut beaucoup aimer les hommes de Marie Darrieussecq


Une femme rencontre un homme. Coup de foudre. Il se trouve que l’homme est noir. « C’est quoi, un Noir ? Et d’abord, c’est de quelle couleur ? » La question que pose Jean Genet dans Les Nègres, cette femme va y être confrontée comme par surprise. Et c’est quoi, l’Afrique ? Elle essaie de se renseigner. Elle lit, elle pose des questions. C’est la Solange du précédent roman de Marie Darrieussecq, Clèves, elle a fait du chemin depuis son village natal, dans sa « tribu » à elle, où tout le monde était blanc. 
L’homme qu’elle aime est habité par une grande idée : il veut tourner un film adapté d’Au cœur des ténèbres de Conrad, sur place, au Congo. Solange va le suivre dans cette aventure, jusqu’au bout du monde : à la frontière du Cameroun et de la Guinée Équatoriale, au bord du fleuve Ntem, dans une sorte de « je ntem moi non plus ». (P.O.L)

Comme le dit la chanson : "C'est une longue histoire/Un homme/Une femme/Ont forgé la trame du hasard.", sauf qu'ici le hasard a eu lieu dans une soirée aux Etats-Unis au cours de laquelle Solange, une française partie travailler à Los Angeles comme actrice, rencontre Kouhouesso, lui aussi acteur mais désireux d'adapter en film "Au cœur des ténèbres" de Conrad.
Solange est bouleversée, elle tombe amoureuse de cet homme : "Est-ce que je suis amoureuse de lui ? Est-ce que c'était ça l'amour, cette façon d'attendre et maintenant, de regarder bouger les belles lèvres sur les belles dents sans écouter ?", un sentiment qu'elle n'a plus éprouvé depuis longtemps; mais il est Noir et Solange s'interroge, sur l'Afrique, sur ce que c'est que d'être Noir : "Un vague tournis la prenait, comme devant ces nuanciers de papier peint qui ressemblent à de gros annuaires de couleurs, à se demander si noir c'est noir, et elle n'en savait rien.".
Jusqu'alors, Solange a vécu sûre d'elle et de ses pensées, mais cette relation la bouleverse, change le centre de gravité de son monde et change sa vision sur les rapports entre les Noirs et les Blancs : "Elle était née où elle était née, dans la peau qui était la sienne, entourée des mots qui l'entouraient. Elle découvrait ça, que sur les Noirs, ce n'est pas exactement que les Blancs n'ont rien à dire (ils n'arrêtent pas, ils n'arrêtaient pas depuis qu'elle était petite); non, c'est que sur les Noirs, les Blancs n'ont rien à dire aux Noirs. Même répéter, ils ne peuvent pas.".

Le nom de Marie Darrieussecq ne m'était pas inconnu mais son style oui, cette lacune est désormais comblée.
J'ai beaucoup aimé ce texte qui se caractérise par une construction originale sous la forme d'un film, avec son générique, ses parties, sa fin et les bonus.
Cette mise en abîme dans la construction est intéressante d'autant plus qu'elle se retrouve également dans le récit mettant en scène un réalisateur aux prises avec les affres du montage financier de son projet et ensuite du tournage en Afrique.
Il est également difficile de rester insensible à Solange, une femme amoureuse qui se livre corps et âme à sa passion, quitte à se couper parfois du monde.
Pour l'homme qu'elle aime, elle est prête à tout : à le suivre au bout du monde, à peu voir sa famille restée en France; tandis que lui semble moins épris qu'elle, lui opposant son silence pendant plusieurs jours, moins prompt à rechercher son contact; pourtant tous les deux vont s'unir pour faire tomber les clichés et les barrières, l'espace de quelques mois tout du moins, le temps éphémère d'une passion et d'un film.
C'est avec curiosité et bonheur que j'ai suivi le déroulement de cette histoire d'amour, une trame qui aurait pu à elle seule faire l'objet d'un film, Solange étant une femme de passion qui l'assume et la vit jusqu'au bout, une héroïne forte et attachante.
Il ne faut pas se fier à la plume simpliste au premier abord de Marie Darrieussecq, elle est au contraire calibrée très justement et tape toujours dans le mille, avec un style beau, enlevé et addictif, un véritable plaisir à lire.
Quant au titre emprunté à une phrase de Marguerite Duras, il est le parfait reflet du cœur de ce roman et cette phrase est, à travers ce récit mais également dans la vie de tous les jours, ô combien vraie pour toute femme.

"Il faut beaucoup aimer les hommes" de Marie Darrieussecq est un livre qui m'a touchée, émue et séduite par son style narratif et sa construction.
Quant à savoir si je lirai d'autres romans de l'auteur, il semblerait que ce livre soit à part dans son œuvre, je vais donc choisir de rester sur cette belle impression et ne pas chercher à en découvrir plus par peur de tout gâcher et d'être déçue.

Livre lu dans le cadre du Prix Océans

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