vendredi 31 octobre 2014

India Dreams Tome 4 Il n'y a rien à Darjeeling de Maryse et Jean-François Charles


Katmandou, Népal, 1965 – Flanquée de ses amis hippies, la jeune Kamala affronte une épreuve difficile : passer en jugement pour avoir provoqué la mort accidentelle d’un policier local corrompu. Acquittée contre tout attente, la jeune femme se retrouve un peu plus tard, à la demande de sa mère Emy, au chevet du Prince Jarawal, gravement blessé à la suite d’un attentat. Mais elle ignore encore que celui-ci n’est autre que son père biologique, qu’elle a toujours cru mort… Alors que le dénouement s’approche, se dévoile un autre pan, jusque-là secret, de toute l’histoire, à travers le journal intime d’un ancien colonel britannique de l’Armée des Indes, qui n’est autre que l’arrière-grand père de Kamala. (Casterman)

Contrairement à ce que le titre pourrait le laisser présager, il n'y a pas rien à Darjeeling hormis du thé, mais bien la clé pour comprendre bien des choses.
Kamala est dans de sales draps suite à la mort accidentelle d'un policier local provoquée par l'un de ses amis et finit par ressortir libre du tribunal, à la surprise générale.
C'est alors qu'elle se rend, à la demande de sa mère, au chevet du prince Jarawal et y apprend le secret de sa naissance.
L'histoire aurait pu s'arrêter là, entre une Emy retrouvant un Jarawal apaisé et une Kamala, emblème de la nouvelle génération, filer le parfait amour avec Jay, mais c'est sans compter sur les révélations qui ponctuent ces retrouvailles, à commencer par une lointaine prédiction : "Rappelle-toi la prédiction de l'avatara : Tous les 5 liés d'éternité pour assurer la pérennité de Khalapour.", qui permet enfin aux protagonistes de comprendre et d'accepter leur rôle dans cette Inde qui se découvre et se construit; et surtout sur l'apparition du journal intime de l'arrière grand-père de Kamala, colonel britannique de l'Armée des Indes qui révèle tout un pan du passé ignoré jusqu'alors.

Il y a quelque chose de très beau dans cette histoire, à la fois dans les relations entre les personnages mais également dans l'arrière-plan qui s'avère bien plus riche qu'il n'y laisserait paraître au premier abord.
Les auteurs ont revisité l'Inde coloniale et l'Inde indépendante d'une façon contrastée entre deux générations qui ne connaissent pas les mêmes déboires.
Ils ont su capter l'atmosphère particulière de l'Inde à travers les époques et mettre en lumière la pauvreté de ce pays qui peut surprendre au premier abord et dérouter les Occidentaux.
Il y a un côté mystique à l'histoire qui m'a séduit mais également plusieurs très belles histoires d'amour.
Celle de Kamala et de Jay s'inscrit dans un cadre plus apaisé mais le jeune homme a une remarque très juste pour sa compagne afin de lui faire comprendre que certes le passé est important mais seul l'avenir compte :
"- Curieux personnage que mon père ! Malgré ce qu'il avait vécu ici, il ne cessait de dire qu'il n'y avait rien à Darjeeling !
- Et il avait raison ! C'est vers l'avenir qu'il nous faut regarder !".
Les dessins sont de toute beauté, j'ai été charmée à la fois par les personnages mais également par les paysages.
Ils arrivent toujours à saisir la justesse de l'instant et, sans s'inscrire complètement comme des aquarelles, j'aime la douceur du trait de crayon et des couleurs.

J'ai été séduite par cette première partie de la saga "India Dreams", j'y ai retrouvé toute la finesse de scénario et la beauté des dessins que j'avais pu apprécier dans "War and Dreams" des mêmes auteurs.
Cette bande dessinée est une véritable invitation au voyage et ne peut laisser personne indifférent, à découvrir de toute urgence.

mercredi 29 octobre 2014

India Dreams Tome 3 A l'ombre des bougainvillées de Maryse et Jean-François Charles


1965. L’Inde est indépendante, le pouvoir des maharadjahs s’effrite comme leurs palais, la guerre menace aux frontières, quand un fait divers trouble le Rajasthan et provoque, “à l’ombre des bougainvillées”, les retrouvailles d’Emy et de Jarawal. Pourquoi l’a-t-elle trahi ? Et pourquoi a-t-elle appelé sa fille Kamala ? Pendant ce temps, à Cambridge, Kamala et son ami Jay terminent leurs études. Portés par l’air du temps, ils décident d’entreprendre avec des hippies, à bord d’un vieux minibus, un voyage dans l’Himalaya, terre d’élection de la non-violence. Mais cette quête initiatique qui devait les mener jusqu’à Katmandou va tourner au cauchemar. (Casterman)

Dix-huit années ont passé, l'Inde est désormais indépendante, les Maharadjahs ne sont plus aussi puissants, Jarawal est à la tête d'un royaume qui s’effondre et c'est dans un petit village que s'effectuent ses retrouvailles avec Emy, veuve toute récente de Kenneth Lowther et mère d'une fille appelée Kamala.
Jarawal est amèrement déçu : persuadé qu'Emy était repartie en Angleterre il ne comprend pas qu'elle ait passé toutes ces années si près de lui sans rien lui dire, et en épousant un homme dont l'homosexualité était de notoriété publique.
C'est donc dans une violence verbale que ces deux êtres se retrouvent : "C'est affreux ! Nous nous aimions tant ! Et nous ne pouvons plus communiquer que par la violence. Mieux vaut ne jamais nous revoir.", pour mieux se quitter ... mais pas forcément de façon définitive.

Ce nouvel opus s'attache à suivre le parcours de Kamala, jeune femme diplômée de Cambridge, et de son ami Jay; et dans une moindre mesure celui d'Emy et de Jarawal.
Les années ont changé tout comme les mentalités, aussi Kamala entreprend-elle avec Jay et quelques amis hippies un voyage dans l'Himalya qui va changer leur destin.
Même si l'époque est au baba-cool, ce n'est pas pour autant que le colonialisme est mort, comme le constate avec dépit Kamala face à certains propos tenus par ses amis Anglais : "Mais de quel droit vous nous jugez ? Par nostalgie d'un empire perdu ? Alors c'est vrai qu'en chaque Anglais, il y a toujours un colonialiste qui sommeille !".
Si les auteurs ne leurrent pas longtemps le lecteur quant au lien de parenté entre Kamala et Jarawal, ils arrivent à semer les graines d'une nouvelle intrigue qui tourne cette fois-ci autour de Kamala, une jeune femme qui a hérité de certains traits de caractère de sa mère.
L'époque est plus moderne, les mœurs un peu plus légères, mais il n'en demeure pas moins que le poids des traditions est toujours aussi important en Inde, même si la dimension mystique commence à s'effacer progressivement.
Jarawal et Emy font presque partie du passé, l'avenir s'ouvre à Kamala, une jeune femme mêlant encore le traditionalisme de l'Inde et la modernité Occidentale.
J'ai pris beaucoup de plaisir à retrouver ces personnages et à en découvrir de nouveau, l'intrigue de cette bande dessinée s'étale sur plusieurs années et la magie opère toujours avec autant de succès.
J'ai voyagé avec Kamala, j'ai souffert en retrouvant Emy et Jarawal désormais opposés par la vie, j'ai vu une Inde un peu plus moderne, plus proche de l'idée que l'on s'en fait mais qui demeure toujours aussi frappante pour qui pose le pied sur son sol.
Les dessins sont de toute beauté, les traits des personnages sont aussi soignés que les paysages et les moindres détails qui ponctuent l'histoire, c'est un véritable régal pour les yeux.

"A l'ombre des bougainvillées" amorce une nouvelle époque dans l'épopée littéraire qu'est "India Dreams".
Et au risque de me répéter, il s'agit d'une très belle bande dessinée qui mérite d'être connue, tout comme ses auteurs Maryse et Jean-François Charles.

mardi 28 octobre 2014

India Dreams Tome 2 Quand revient la mousson de Maryse et Jean-François Charles


Mai 1945. Dans l'immédiat après-guerre, Emy et Jarawal entreprennent, par un été torride, un long périple à travers l'Inde du nord, du Radjasthan à Goa, en passant par le Cachemire, le Ladakh et Bénarès, à la recherche de Mr. Lowther, leur ancien professeur, qui semble connaître la vérité sur ces événements qui ont meurtri leur enfance. Dans cette Inde tourmentée, confrontés à la violence de groupuscules extrémistes, Emy et Jarawal vont se découvrir et s'aimer avec passion, malgré leurs différences culturelles et sociales. Mais un jour, revient la mousson... (Casterman)

"Je sais combien ce voyage t'est pénible, Emy ! Mais si tu veux retrouver l'Inde, il faut l'aborder avec ton âme d'enfant ! Redevenir Kamala !", et effectivement, le voyage n'est pas de tout repos pour Emy, accompagnée de Jarawal, dans leur course éperdue pour retrouver Kenneth Lowter, leur ancien précepteur et l'homme qui détient les réponses à leurs questions.
Ici, exit l'Angleterre dans une intrigue qui se déroule entièrement en Inde, pour mon plus grand bonheur car j'ai littéralement dévoré ce deuxième volume.
Ma curiosité première résidait dans l'étrange couple formé par Emy et Jarawal, mon côté romantique me poussait à savoir ce qu'il adviendrait de cette femme et de cet homme dans un pays où l'Amour est partout et au cœur de tout : "Ici, comme partout aux Indes, les hommes vivent en parfaite communion avec la nature. Tout est don des dieux. Même l'amour qui unit un homme à une femme !".
Au-delà de leur quête de la vérité, j'ai adoré cette rencontre de deux âmes, de deux êtres que beaucoup de choses oppose mais que l'amour réunit : "Une véritable histoire d'amour est quelque chose d'exceptionnel ! A chaque être humain correspond sa moitié. Encore faut-il la rencontrer et la reconnaître.".
Encore plus que dans le précédent tome j'ai ressenti la puissance mystique qui se dégage de l'Inde : "Chez nous, l'amour s'inscrit dans un contexte religieux et sacré.", le tout servi par un scénario finement ciselé et qui réserve encore bien des rebondissements.
Une fois encore, j'ai été surprise de voir à quel point les auteurs se sont appropriés ce pays, ses coutumes, ses manières de vivre.
Je reconnais qu'en tant qu'Occidentale je suis à la fois émue et perturbée de découvrir ainsi ce pays qui, sans nul doute, me ferait un choc le jour où je me déciderai à y aller.
Les auteurs se sont bien mis dans la peau du personnage d'Emy qui évolue beaucoup dans ce deuxième tome, pour mon plus grand bonheur.
Quant à la qualité des dessins, une fois de plus je dois mettre en avant leur réussite, ils sont tout simplement magnifiques à regarder, à l'image des paysages qui défilent devant les yeux attendris du lecteur.

"Pourquoi la vie est-elle si cruelle ! Pourquoi devons-nous toujours faire des choix ?", la conclusion de ce deuxième volume laisse pantois le lecteur qui n'a d'autre choix que de continuer sa course effrénée dans la découverte d' "India Dreams", une série extrêmement séduisante en bande dessinée et dont le deuxième volet, "Quand revient la mousson", est à la hauteur du premier en terme de qualité scénaristique et de graphisme.

Top Ten Tuesday #72


Le Top Ten Tuesday (TTT) est un rendez-vous hebdomadaire dans lequel on liste notre top 10 selon le thème littéraire défini.

Ce rendez-vous a été créé initialement par The Broke and the Bookish et repris en français par Iani.

Les 10 livres à lire pour Halloween

Je ne suis pas sûre de bien avoir compris le thème, je vais donc lister 10 livres collant à la fête d'Halloween, livres que je n'ai pas forcément lus.

1) "Ça" de Stephen King;
2) "Shining" de Stephen King;
3) "Le crime d'Halloween" d'Agatha Christie;
4) "Simetierre" de Stephen King;
5) "Les croassements de la nuit" de Douglas Preston et Lincoln Child;
6) "L'heure des sorcières" d'Anne Rice;
7) "Dracula" de Bram Stocker;
8) "Sacrées sorcières" de Roald Dahl;
9) "Halloween, une fête d'enfer" de R. L Stine;
10) "Le fantôme de l'opéra" de Gaston Leroux.

lundi 27 octobre 2014

India Dreams Tome 1 Les chemins de brume de Maryse et Jean-François Charles


Londres, décembre 1944. Emy déteste les Indes. Elle y a perdu ses parents, 16 ans plus tôt. Et voilà que resurgit le passé. De façon fortuite, Emy prend connaissance du journal intime de sa mère, Amélia, jeune femme résignée, à peine sortie des principes de l'Angleterre victorienne, et confrontée, au travers d'une Inde dite impudique, au réveil de sa propre sensualité. 
Janvier 1930. Amélia s'embarque avec Emy sur le premier paquebot à destination de Bombay, pour y retrouver Thomas, son époux, capitaine dans l'armée des Indes à Khalapour, au Radjasthan. Mais les retrouvailles sont décevantes. Thomas semble avoir changé, à moins que ce ne soit Amélia, fort éprouvée par la chaleur suffocante régnant dans cette région située aux confins du désert de Thar. Heureusement, il y a Kenneth Lowther, un ami de Thomas, philosophe athée et précepteur des enfants royaux, qui tente d'expliquer à Amélia l’Inde déconcertante, sa religion, ses coutumes et la magnificence de ses maharadjahs. La jeune femme a bien des difficultés à retrouver ses repères.. (Casterman)

En décembre 1944, en plein cœur de la Seconde Guerre Mondiale, Emy habite Londres et y est abordée par un homme qu'elle a connu enfant, il y a seize ans de cela, lorsqu'elle était partie aux Indes avec sa mère Amélia pour y rejoindre son père.
Mais Emy ne veut plus entendre parler des Indes : "Les Indes sont sorties de ma vie, de ma mémoire.", elle y a perdu son père et sa mère.
Pourtant, elle va finir par se replonger dans ses souvenirs et revivre son arrivée là-bas avec sa mère, la découverte d'un pays chaud et moite où l'on attend avec impatience la mousson, mais également un pays mystique qui s'ouvre à la petite fille qu'elle était alors, puisqu'elle fait partie des rares personnes à voir l'avatara, qui se présente à Emy sous la forme d'une femme nue chevauchant un éléphant : "Il arrive qu'une divinité descende sur terre sous forme animale ou humaine ... C'est l'avatara, et seules les très vieilles âmes peuvent la percevoir.".
Emy va devoir s'affranchir de son carcan de femme européenne et de ses superstitions : "Je suis comme ma mère ! Je porte malheur à ceux qui m'aiment !" et ré-apprendre les Indes.

Cette bande dessinée dégage non seulement un charme fou mais est également une invitation au voyage.
L'histoire et les dessins y sont conçus à l'image des Indes : mystiques, sensuels, charnels, exotiques et lointains.
Si l'oeuvre reste classique dans les dessins de Jean-François Charles ces derniers se révèlent d'une beauté à couper le souffle, particulièrement grâce aux nuances apportées et à la mise en couleurs.
Le scénario est signé Maryse Charles et là encore, s'il ne révolutionne pas le genre du roman d'amour il n'en demeure pas moins que l'intrigue est prenante, à la fois dans la quête d'Emy de découvrir la vérité sur la mort de son père il y a seize ans et la disparition de sa mère, mais également dans la relation renaissante qu'elle a avec Jarawal, ce prince Indien venu rechercher Emy dans le froid de l'Angleterre au cœur d'une guerre qui s'éternise pour la ramener en Inde, là où tout a commencé et où tout doit s’achever.
J'ai énormément apprécié le point de vue dans lequel les auteurs se placent : celui de deux femmes, deux Occidentales, à plusieurs années d'intervalle qui éprouvent un réel déracinement et une perte totale de repères face à ce pays où l'on est confronté à la mort, à la misère, à la pauvreté sans y être forcément préparé.
L'Inde est également un pays de croyances auxquelles on ne pense plus aujourd'hui, auxquelles on ne croit plus, à l'image du personnage d'Emy qui va devoir ouvrir son esprit et faire tomber ses inhibitions de femme Occidentale pour retrouver l'âme Indienne qui ne l'a jamais quittée.

"Les chemins de brume" est un premier tome savoureux de ce qui s'annonce comme une nouvelle grande saga littéraire signée par Maryse et Jean-François Charles dont j'avais énormément apprécié le travail sur "War and Dreams", je ne peux donc que conseiller la découverte de cette très belle bande dessinée emmenant le lecteur en Inde.

dimanche 26 octobre 2014

L'antilope blanche de Valentine Goby


«Je voulais aller loin. Je dois y être. Douala m'arrête. La moiteur m'enveloppe. Mes jambes ne me portent plus. C'est donc ici ? Ici que je dois être ? Yves Kermarec, je m'éloigne de toi. Mon Dieu, faites que ce soit pour toujours.» En 1949, Charlotte Marthe devient directrice d'un collège de jeunes filles camerounaises. Elle n'est qu'une femme en deuil de son amour. Elle ne sait pas qu'elle deviendra l'héroïne discrète et passionnée d'une page oubliée de l'Histoire. (Folio)

En 1949, Charlotte Marthe quitte la France pour le Cameroun où elle va y diriger pendant de nombreuses années un collège de jeunes filles.
Mais à la petite histoire de Marthe se mêlera la grande, elle restera pourtant oubliée de tous et ce roman sert en quelque sorte à lui rendre hommage.
Car si Charlotte Marthe est un personnage de fiction, il est librement inspiré de Charlotte Michel, une Française qui a effectivement dirigé un collège de jeunes filles Camerounaises qui ont été baptisées les Antilopes.
Valentine Goby a comblé à sa façon les trous dans l'histoire de Charlotte Michel avec son personnage de Charlotte Marthe, permettant ainsi de mettre en lumière le travail réalisé par la "vraie" Charlotte.
Si l'idée de départ du livre m'a séduite je dois dire que je ressors quelque peu mitigée de cette lecture.
Ce roman est écrit sous forme de journal intime, ce qui permet d'être au plus proche du personnage et de son quotidien, mais aussi de ses pensées intimes.
Ainsi, je n'ai pu m'empêcher de trouver que le personnage de Charlotte Marthe tombait un peu dans le stéréotype de la femme blanche partant vivre dans une colonie Africaine : elle quitte la France pour une peine de cœur, elle s'auto-proclame laide et en déduit donc qu'elle doit s'investir dans son travail à hauteur de sa laideur : "Je suis infatigable parce que je suis laide. Exceptionnelle à la hauteur de ma laideur.", elle rencontre des hommes qui la troublent, et elle ne vit, en dehors de ses élèves, que dans un microcosme de Français expatriés comme elle.
Où est la découverte de l'Autre ? D'une culture différente ? D'un mode de vie différent ?
J'attendais de ce roman autre chose qu'une blanche expatriée en Afrique qui reste confinée ou presque dans son établissement.
Finalement, la narratrice se décrit assez bien : "J'ai quarante ans. Je suis une vieille fille tranquille, faiseuse d'Antilopes au fin fond de l'Afrique noire. Et de l'autre côté de la mer, qui suis-je ? Une vieille fille un peu dingue qui s'occupe des Noirs près d'un bidonville, tandis que les banlieues de métropole se transforment elles-mêmes en bidonvilles.", ainsi que le gouffre de plus en plus important entre elle, sa vie en Afrique, et la France.
J'ai également aimé le fond historique de ce récit, où l'on sent que toutes les colonies Françaises sont en train, les unes après les autres, de réclamer leur indépendance, c'est tout un pan historique et culturel de la France qui s'écroule.
J'attendais également de ce récit beaucoup plus d'authenticité, une part plus grande consacrée aux anecdotes de la narratrice, à ses élèves.
Au final, les élèves ne sont qu'évoquées, contrairement aux difficultés rencontrées par la narratrice dans la gestion quotidienne de ce collège, je trouve cela quelque peu dommage car j'aurais aimé en apprendre un peu plus sur ces jeunes filles qui font la fierté de la narratrice.
Cela n'empêche pas ce récit de contenir de très beaux moments, de belles évocations et finalement de présenter toute la fierté ressentit par Charlotte Marthe, et par ricochet Charlotte Michel, vis-à-vis de son travail et de ce futur qu'elle offre à toutes ces jeunes filles : "Je disparais peu à peu du monde qui compte. J'élève une centaine de filles noires, sur un tout petit point de la carte d'Afrique où le cœur de la France bat moins fort qu'ailleurs.".
Charlotte Marthe ressort de cette expérience en n'étant plus vraiment Française mais pas vraiment non plus Africaine, c'est une déracinée pour le restant de ses jours.
Quant au style de Valentine Goby dont je lisais une oeuvre pour la première fois, il est dans l'urgence, ponctué de phrases courtes pour faire ressortir le dénuement dans lequel se trouve Charlotte Marthe et les mille choses auxquelles elle a à penser avant elle-même.

Je ressors de ma lecture de "L'antilope blanche" de Valentine Goby avec une impression en demi-teinte quant au contenu, je crois surtout qu'au lieu de lire la vie romancée de Charlotte Michel à travers le personnage de Charlotte Marthe j'aurais préféré que l'auteur me raconte la vraie vie de Charlotte Michel, sans chercher à en combler les blancs par de l'invention.
Il n'en reste pas moins que "L'antilope blanche" est un livre intéressant à découvrir, j'invite donc chacun à se faire sa propre opinion sur ce roman.

Livre lu dans le cadre du Club des Lectrices


samedi 25 octobre 2014

The Salvation de Kristian Levring



1870, Amérique. Lorsque John tue le meurtrier de sa famille, il déclenche la fureur du chef de gang, Delarue. Trahi par sa communauté, lâche et corrompue, le paisible pionnier doit alors traquer seul les hors-la-loi. (AlloCiné)


Le Western ferait-il son grand retour au cinéma ?
C'est à croire, car il y a peu j'allais voir "The Horseman" de Tommy Lee Jones et maintenant "The Salvation" réalisé par le Danois Kristian Levring.
Les histoires de western respectent toujours les mêmes codes : un homme voit sa famille massacrée et décide de se faire vengeance lui-même envers le gang coupable du massacre.
Ici, il en va de même : John vient à peine de retrouver sa femme et son fils qu'il n'avait pas vus depuis sept ans que, pour son malheur, un chef de gang tout juste relâché de prison décide de prendre place dans la même diligence que lui.
Il s'intéresse à la femme, qui ne parle pas à un mot d'anglais tout comme le garçon, vire le mari de la diligence, viole et massacre allègrement.
Le mari retrouve sa famille massacrée, il file les enterrer chez lui et y retrouve son frère qui apprend son malheur.
Ni une ni deux, John décide d'aller faire la peau au gang responsable du massacre, et c'est là que les ennuis commencent, car la tranquille communauté dans laquelle il vit se révèle être corrompue et à la botte du vilain chef de gang qui de son côté prend un malin plaisir à faire peur aux gens pour racheter leurs terres et une fois que tout le monde sera parti l'exploitation de l'or noir présent dans le sol pourra commencer (et donnera lieu à la série "Dallas" mais je m'égare !).


Entendre parler danois au début d'un western peut avoir quelque chose de surprenant mais si Rome ne s'est pas faite en un jour il en va de même pour les Etats-Unis qui a accueilli de nombreux pionniers et parmi eux beaucoup d'européens venus chercher fortune sur ces terres.
J'ai aimé cette histoire qui condense bien tous les codes du western sans se perdre dans des palabres inutiles.
Le scénario est efficace, il va à l'essentiel et n'hésite pas à utiliser parfois l'ellipse pour gagner du temps dans le déroulement du scénario.
C'est assez noir et violent, à l'image d'un western, et il y a un côté désespéré dans la quête de John qui ressort assez bien à l'écran.
Il y a du sang, beaucoup, de la douleur, des pleurs et au final une forme de justice.
Il y a de très belles scènes, je pense notamment à celle qui clôt le film où la vengeance de John est à son paroxysme, un passage qui n'a pas été sans me rappeler "Impitoyable" de Clint Eastwood.
Qui dit western dit belle pépette, celle de l'histoire a, au regard de certains hommes, une grande qualité : elle est muette (sa langue a été coupée par des Indiens), ce qui ne l'empêche pas d'être très expressive.
Son rôle n'est pas d'être un faire-valoir ni de décorer le saloon, elle a une réelle présence et un rôle à jouer, et pourrait même se révéler plus retors que bien des hommes.
Ce film a été l'occasion de découvrir l'acteur Madds Mikkelsen et son excellent jeu : toujours juste, à fleur de peau, désespéré et prêt à tout; ainsi que Jeffrey dean Morgan et Eva Green.
Je m'attarde un peu sur cette dernière car si son personnage est muet elle a dû composer pour donner un charisme à son personnage, le rendre inquiétant lorsqu'il le faut et au final s'il ne parle pas cela ne l'empêche pas de passer ses émotions et ses pensées au spectateur.
Le tout est emmené par une mise en scène bien orchestrée et une musique qui colle aux images, un plaisir pour les yeux.


Pas de temps mort et pas de bavardage inutile dans "The Salvation", western moderne qui suinte l'urgence de la vengeance pour, peut-être, trouver le repos de l'âme.
Décidément, ce style de film n'a pas pris une ride et celui-ci mérite d'être vu, ne serait-ce que pour l'excellence du jeu des acteurs.











mercredi 22 octobre 2014

Sin City Tome 6 Des filles et des flingues de Frank Miller


Un gars paumé recherche un peu de chaleur dans les bras d’une fille à la beauté renversante, une petite frappe est à la recherche d’un coup tordu à faire, des pauvres types ne font que se retrouver au mauvais moment au mauvais endroit, pendant qu’un grand gaillard marche silencieux sous la neige… Onze histoires courtes où l’on retrouve des personnages bien connus : Marv, Miho ou le tandem Klump & Schlubb. 
Tueurs, règlements de comptes et femmes fatales sont, comme à l’accoutumée, au rendez-vous… (Rackham)

Bienvenue à Sin City, la ville du péché et du vice, où la racaille côtoie la racaille, où les flics ne font pas la loi, où les putains sont aussi belles que vénéneuses, où ça castagne fort et où le samedi soir les mâles se retrouvent à baver devant le déhanché sexy et bandant de la sublime Nancy : "Un samedi soir comme les autres. Moi et tous les losers de mon espèce, à picoler et à baver comme des malades devant Nancy. Un samedi soit comme les autres.".
Ce livre n'est pas à proprement parlé une histoire de Sin City puisqu'il s'agit d'une compilation de onze nouvelles se déroulant dans cette ville et dans lesquelles on retrouve des personnages connus comme Marv ou Nancy.
Sin City est une ville où tout est noir ou blanc mais pas gris, rien ne s'y fait dans la demi-mesure et les faibles n'y ont pas leur place, d'ailleurs tout y est vu en grand, y compris pour orchestrer sa propre mort : "Elle est douce et chaude et légère comme l'air. Son parfum est une tendre promesse qui me fait monter les larmes aux yeux. Je lui dis que tout ira bien, que je la sauverai de tout ce qui lui fait peur, et que je l'emmènerai loin, très loin. Je lui dis que je l'aime. Le silencieux transforme le coup de feu en murmure.".
Mais c'est aussi une ville qui révèle son lot de surprises et où les apparences sont parfois trompeuses, à l'image de la si gentille Mary qui cachait bien son jeu (et autant vous dire que la chute en dessin mérite le coup d’œil) : "Mary est une gentille catholique qui a paniqué la veille de son mariage et a failli faire une bêtise. Je suis sûr qu'elle passe tout son temps à supplier son mari de lui pardonner. Je parie qu'il le fait. Il a pardonné pire.".
Toutes les histoires sont écrites dans la pure tradition du roman noir américain, les scénarios sont extrêmement bien écrits, y compris à travers ces nouvelles dont certaines sont même très courtes.
Frank Miller a fait un gros travail sur le graphisme et je dois reconnaître qu'il est tout simplement magnifique même s'il peut dérouter dans un premier temps.
Il faut en effet s'y habituer car il est uniquement en noir et blanc ponctué à de très rares moments par des nuances de couleur pour faire ressortir un détail : le bleu d'un regard, le rouge d'une robe.
Ce graphisme donne vie aux histoires et contribue pour beaucoup au succès de ce comics, il faut dire qu'il s'en dégage une forme de sensualité, d'électricité, de violence qui ne peut laisser personne indifférent, en tout cas ce ne fut pas le cas pour moi et je ne regrette pas cette immersion dans cette ville abjecte canalisant tous les instincts les plus primaires et les plus violents de la nature humaine dans laquelle je suis bien contente de ne pas habiter mais simplement de la découvrir à travers le papier.

"Des filles et des flingues" constitue une bonne approche pour découvrir l'univers si riche de "Sin City" et autant dire, même si cela a déjà été fait de nombreuses fois, que "Sin City" est un produit littéraire visuellement très beau et parfaitement réussi.

mardi 21 octobre 2014

Top Ten Tuesday #71


Le Top Ten Tuesday (TTT) est un rendez-vous hebdomadaire dans lequel on liste notre top 10 selon le thème littéraire défini.

Ce rendez-vous a été créé initialement par The Broke and the Bookish et repris en français par Iani.

Les 10 personnages secondaires sur lesquels vous aimeriez avoir un livre

1) Remus Lupin et Nymphadora Tonks de "Harry Potter" de J. K Rowling;
2) Eowyn du "Seigneur des anneaux" de J.R.R Tolkien;
3) Les Shingouz de "Valérian et Laureline" de Jean-Claude Mézière et Pierre Christin;
4) Windsor dit Win Horne Lockwood de la série "Myron Bolitar" de Harlan Coben;
5) Nefret de la série "Amelia Peabody" d'Elizabeth Peters;
6) Deborah et Simon Saint James de la série "Lynley" d'Elizabeth George;
7) Lady Viola Maskelene de la série "Pendergast" de Douglas Preston et Lincoln Child;


lundi 20 octobre 2014

Blond cendré d'Eric Paradisi


Alba et Maurizio se rencontrent à Rome pendant la guerre. Elle transmet les messages de la Résistance, il est coiffeur dans le ghetto. Déporté à Auschwitz, Maurizio survit en devenant le barbier de sa baraque, sans jamais renoncer au souvenir d'Alba, à la délicatesse de son visage dessiné sur du papier volé. Ce portrait, comme sa souffrance, Maurizio l'a confié à sa petite-fille. Des années plus tard, au cours d'une interminable nuit, elle raconte à l'homme qu'elle aime cette histoire qui est son héritage. Mais à mesure que la nuit avance, le drame resurgit… (JC Lattès)

Ce roman se présente comme un chant à deux voix : celui d'une femme adressant à son amant des mots d'amour et celui de cette même femme racontant, toujours à son amant, l'histoire de son grand-père Maurizio.
Maurizio a connu Alba à Rome, durant la Seconde Guerre Mondiale.
Lui est Juif et habite le ghetto, elle est dans la résistance et transmet des messages.
Maurizio aime cette femme à la chevelure blond cendré si particulière, elle l'aime aussi son coiffeur, mais c'est la guerre, Maurizio est arrêté, déporté à Auschwitz et ne doit sa survie qu'en étant devenu le barbier de sa baraque.
Inutile d'en dire plus car la vie de Maurizio a connu de nombreux drames qu'il a réussi à surmonter à chaque fois, l'amour ayant toujours été le plus fort, y compris de la mort : "Tu sais qu'un sentiment plus fort que moi t'oblige désormais à vivre. C'est peut-être ça l'amour, quelque chose qui t'oblige à vivre."; et celle de sa petite-fille n'est pas plus exempte de drame car au fur et à mesure de la narration s'en est un autre qui prend corps et finit par tout emporter sur son passage.
Cette narratrice a, comme le dit la chanson, reçu l'amour en héritage, c'est en tout cas ce qui ressort des propos qu'elle tient à l'homme qu'elle aime et avec qui elle partage sa vision de l'amour : "Je le sais à présent, mon amour, que l'amour est le coma de tout être vivant.", mais également de la mort.
Vie et mort se côtoient effectivement beaucoup tout au long de cette histoire, l'une n'étant finalement pas dissociable de l'autre, il faut apprendre à faire avec et à continuer de vivre, c'est en tout cas ce que je retiens principalement de ce roman.
Je n'ai jamais caché aimé en littérature la période de la Seconde Guerre Mondiale, c'est même ce qui m'a poussée vers ce livre.
Ici, j'ai pu y découvrir la guerre vécue de l'intérieure de l'Italie, avec les ghettos Juifs mais également les mouvements de résistance qui luttaient contre le régime fasciste.
Mais cela n'est qu'une partie de ce roman, l'autre se déroulant à Auschwitz et enfin en Amérique du Sud.
J'ai trouvé le parcours de Maurizio beau et dur, c'est un homme marqué par le destin qui aurait pu sombrer et ne jamais reprendre goût à la vie, il va finalement y arriver, s'investir dans quelque chose qui lui tient à cœur : la coiffure pour dames, avec pour seul guide la couleur blond cendré si particulière des cheveux d'Alba, sa petite-fille ayant au passage hérité de la même teinte de cheveux.
Je suis plus partagée sur la narration de la petite-fille que j'ai trouvée plus brouillon, pendant longtemps je me suis interrogée sur le pourquoi de ses propos, pourquoi tenait-elle autant à rassurer l'homme qu'elle aime en lui disant à quel point il compte pour elle, qu'il est le seul et l'unique et sera le dernier.
La réponse vient tardivement et je n'ai pas apprécié de marcher à l'aveugle dans ma lecture car je sentais bien qu'une clé de l'histoire me manquait pour en saisir toute la nuance.
Un peu de mystère soit, autant cela donne un récit brouillon qui perd un peu le lecteur voire même pourrait le décourager.
J'aurais aussi aimé y lire bien avant que cela ne soit évoqué les points communs entre le grand-père Maurizio et sa petite-fille.
Au final j'ai suivi le devenir des personnages mais sans jamais réellement m'attacher à eux et vibrer avec eux, ce qui me fait dire qu'il manque à mon sens un petit quelque chose à ce récit.
Quant au style d'Eric Paradisi, j'ai assez aimé, c'est à la fois simple mais évocateur, ça se lit facilement même si je ne suis pas sûre de garder un souvenir ému de cette lecture d'ici quelques mois.

"Blond cendré" d'Eric Paradisi est un roman agréable de cette rentrée littéraire qui a le mérite de ne pas tomber dans le drame comme cela aurait pu être le cas avec l'histoire traitée mais est au contraire tourné vers la vie et vers l'amour.
Je ne suis pas sûre d'en garder un souvenir éternel mais il a éveillé ma curiosité pour lire d'autres livres de cet auteur.

Je remercie Babelio et les Editions J C Lattès pour l'envoi de ce livre dans le cadre de l'opération Masse Critique

dimanche 19 octobre 2014

Le bleu est une couleur chaude de Julie Maroh


« Mon ange de bleu, Bleu du ciel, Bleu des rivières, Source de vie… »
La vie de Clémentine bascule le jour où elle rencontre Emma, une jeune fille aux cheveux bleus, qui lui fait découvrir toutes les facettes du désir. Elle lui permettra d’affronter enfin le regard des autres. Un récit tendre et sensible. (Glénat)

Clémentine a quinze ans lorsque son regard croise celui bleu profond d'Emma, cette jeune femme a la chevelure bleue croisée par hasard sur la grand place.
Elle ne le sait pas encore, mais cette rencontre furtive va changer sa vie à jamais, et sa vision du monde aussi, même si le destin en décide autrement : "Tu m'as sauvée d'un monde établi sur des préjugés et des morales absurdes, pour m'aider à m'accomplir entièrement. Personne n'est fautif de ce qui arrive aujourd'hui.".
Car lorsque Clémentine a enfin l'occasion de parler avec Emma, celle-ci ne lui cache pas qu'elle est lesbienne, et pendant un certain temps Clémentine va lutter contre l'attirance qu'elle éprouve pour Emma et qui vient habiter ses songes la nuit, car il n'est pas pensable alors pour elle d'éprouver de tels sentiments pour une personne du même sexe : "Je suis une fille et une fille, ça sort avec des garçons.".
Heureusement que le meilleur ami de Clémentine est là pour elle, pour l'aider à s'y retrouver en pleins tourments de l'adolescence : "Les questions des ados sont banales aux yeux des autres. Mais quand on se sent seules à pieds joints dedans, comment savoir sur lequel danser ?", et pour finir par comprendre qu'il n'y a rien de plus beau et de plus fort au monde que l'amour : "Clem, ce qui est horrible c'est que des gens s'entretuent pour du pétrole et commettent des génocides, et non pas de vouloir donner de l'amour à une personne.".

Ce roman graphique est bel et bien une histoire d'amour, certes en dehors des sentiers battus de la princesse et du preux chevalier, et alors ?
Son histoire prône l'acceptation de la différence et la tolérance, et est une véritable ode à l'amour : "L'amour s'enflamme, trépasse, se brise, nous brise, se ranime ... : nous ranime. L'amour n'est peut-être pas éternel mais nous, il nous rend éternels ...".
J'ai été énormément touchée par la beauté de cette histoire, par cette si belle rencontre entre Clémentine et Emma, une relation amoureuse, charnelle, de complicité qui transcende les genres et envoie valser les trop bien pensants avec leur morale et leurs principes à deux balles.
Je n'ai jamais caché avoir énormément aimé le film d'Abdellatif Kechiche qui s'est librement inspiré de cette bande dessinée, mais le manque de drame que je lui reprochais est ici au contraire bien présent et donne toute sa puissance au récit.
Oui, c'est très triste, oui j'ai cru que j'allais pleurer avant d'atteindre la fin du récit, mais c'est vivant, c'est beau, c'est réel et ça m'a fait vibrer.
J'ai trouvé qu'il y avait plus de sentiments dans cette histoire que dans d'autres romans qui se revendiquent clairement d'amour et/ou romanesque.
De plus, j'ai beaucoup apprécié le graphisme de Julie Maroh et les teintes de couleurs retenues pour illustrer sa bande dessinée : des dégradés de vert/marron, du noir et blanc, un recours important au sépia pour souligner le retour en arrière qu'effectue Emma en se plongeant dans les carnets intimes de Clémentine, et une unique touche de couleur avec la splendide chevelure bleue d'Emma.
Ce dépouillement de couleurs a le mérite de mettre en avant les points essentiels des personnages, amenant le lecteur à ne retenir d'Emma que ce que Clémentine en a elle-même retenu : le bleu des yeux et des cheveux; et à mettre en lumière la raison de ce titre énigmatique au premier abord.

Avec "Le bleu est une couleur chaude", Julie Maroh signe un magnifique roman graphique auréolé de Prix littéraires tous pleinement justifiés.
Un véritable coup de maître dont je ne peux que féliciter l'ouverture d'esprit qu'il prône et en recommander vivement la lecture.

Baby Love de Joyce Maynard


Fin des années 1970, quatre adolescentes confrontées à la maternité : Sandy, mariée à un paumé de dix-neuf ans peu concerné par son rôle de père ; Tara, produit d’une famille désunie, seule avec son enfant ; Wanda, toujours fêtarde malgré un bébé de trois mois ; Jill, enceinte, et dans la peur de l’annoncer à ses parents. Un même amour maternel unit ces jeunes filles : leur bébé, c’est leur seule réussite, l’unique preuve de leur importance. Elles le nourrissent, le dorlotent, le déguisent, jouent avec comme à la poupée, le malmènent, aussi. Sur les marches d’une laverie automatique, leur lieu de rendez-vous favori, elles se racontent leurs histoires et parlent sur la télé, le cinéma, les magazines… Jusqu’à ce que la venue de deux femmes en quête d’enfants fasse basculer ces vies d’une banalité à la fois touchante et terrifiante. (10/18)

"Quatre filles sont assises sur les marches devant le Lavomat, par une chaleur exceptionnelle pour un mois de mai. Elles partagent à trois le même sèche-linge, dans lequel chacune vient d'introduire une pièce de dix cents.", ainsi débute "Baby Love", roman s'attachant à suivre le quotidien de quatre jeunes filles dans les années 70 dans une ville paumée des Etats-Unis.
Il y a Sandy, dix-huit ans et la seule à être mariée, Tara, Wanda et Jill, seize ans et dont les deux premières sont déjà mères tandis que la dernière est enceinte.
Ces quatre jeunes femmes sont complètement paumées, elles se sont retrouvées mère trop jeunes, sans même parfois comprendre ce qui leur arrivait, à l'image de Tara qui se retrouve enceinte après avoir couché une seule et unique fois avec son petit ami de l'époque; elles sont désœuvrées et passent une partie de leur journée à parler, assises sur les marches du Lavomat, tout en dorlotant et bichonnant leurs enfants : "C'est bien mieux d'avoir un vrai bébé qu'on peut cajoler, laver et pomponner, au lieu d'en rêver seulement. En janvier dernier, c'était un peu comme un paquet-cadeau qu'on promène partout sans y toucher, en se demandant ce qu'il y a à l'intérieur. On peut imaginer qu'il contient une bague en diamants, ou les clés d'une mobylette, ou encore autre chose. Mais une fois ouvert, on est toujours déçu même s'il s'agit de l'objet tant désiré. Maintenant qu'il est là, on n'attend plus rien.".
Ces jeunes femmes m'ont fait l'effet d'être de petites filles jouant à la poupée avec des bébés bien vivants.
Elles s'ennuient, elles attendent quelque chose : "Elle pense que ça ne peut pas continuer indéfiniment comme ça, qu'il va se passer quelque chose. Savoir quoi n'est même pas important.", mais quoi ?
Du lot, j'ai trouvé que le personnage de Tara se distinguait, difficile de ne pas résister au parcours de cette jeune femme qui pourtant ne s'apitoie pas sur son sort, aime sincèrement son enfant et est décidée à prendre sa vie en main et à bouger de cet endroit dans lequel elle menace de sombrer dans un profond sommeil telle la Belle au bois dormant : "Elle ne peut pas rester ici. Et ça ne veut pas dire aller s'asseoir devant le Lavomat du coin. Elle veut partir, quitter cette ville et ne jamais y revenir.".
De toutes, c'est presque la plus mûre et celle qui a le plus de chance de s'en sortir, bien qu'elle soit encore jeune dans sa tête et dans ses choix, à égalité sans doute avec Sandy.
A côté de ces filles-mères, j'ai été touchée par le personnage d'Ann, cette femme qui vit seule et se remet d'une rupture douloureuse, ce qui ne va pas l'empêcher de commettre une erreur en répondant à une petite annonce.
Ce personnage se distingue des autres femmes du récit car elle ne cherche pas à avoir des enfants, son seul but dans la vie c'est de reconquérir l'homme qu'elle aime.
Il pourrait presque faire tâche au milieu de tous ces personnages féminins, jeunes ou moins jeunes, en quête de maternité à n'importe quel prix, d'un côté j'ai trouvé ce personnage rassurant, d'un autre il a, comme les autres, ses failles.
La vie décrite dans ce livre est loin d'être trépidante, elle est d'une banalité à pleurer et il se dégage une réelle atmosphère de l'ensemble, je n'ai eu aucun mal à imaginer la petite bourgade paumée des Etats-Unis, avec son garage, sa station d'essence, son Lavomat et son café.
La plume de Joyce Maynard est très visuelle et parlante, c'est d'ailleurs l'un des points forts de ce récit : elle réussit à écrire des banalités dans un style qui enchante le lecteur et le pousse à tourner les pages de plus en plus vite pour en apprendre de plus en plus sur le destin de ces jeunes femmes, jusqu'à la chute quelque peu inattendue.
Une belle maîtrise pour ce qui est le premier roman de cette auteur publié en 1981.

C'est en quelque sorte le roman d'une génération désenchantée que dresse Joyce Maynard à travers "Baby Love", un premier roman bien maîtrisé et ancré dans le quotidien et la réalité de l'Amérique profonde.
Ce livre m'a beaucoup plu et m'a donné envie de découvrir les autres romans de cette auteur.

Livre lu dans le cadre du Challenge Romancières américaines


Livre lu dans le cadre du Plan Orsec 2014 pour PAL en danger / Chute de PAL


samedi 18 octobre 2014

Tristesse de la terre - Une histoire de Buffalo Bill Cody d'Eric Vuillard


Alors, le rêve reprend. Des centaines de cavaliers galopent, soulevant des nuages de poussière. On a bien arrosé la piste avec de l’eau, mais on n’y peut rien, le soleil cogne. L’étonnement grandit, les cavaliers sont innombrables, on se demande combien peuvent tenir dans l’arène. C’est qu’elle fait cent mètres de long et cinquante de large ! Les spectateurs applaudissent et hurlent. La foule regarde passer ce simulacre d’un régiment américain, les yeux sortis du crâne. Les enfants poussent pour mieux voir. Le cœur bat. On va enfin connaître la vérité. (Actes Sud)

Le nom de Buffalo Bill est connu de tout le monde, mais qui connaît réellement l'homme derrière la légende ?
Que sait-on de lui à part l'image que l'on en a de son rôle dans les guerres indiennes ?
En toute honnêteté hormis cela je ne savais pas grand chose du personnage, encore moins qu'il avait pendant des années organisé et dirigé un spectacle : le Wild West Show.
Son spectacle a contribué fortement à forger sa légende et à déformer la réalité de ce qui s'est vraiment passé : "Il a fait sortir la flamme de terre, aspergeant le monde d'une pluie de tracts, prospectus, magazines où sa légende a été, ligne à ligne, fabriquée, peaufinée, et où l'apologie est devenue sans cesse plus habile. Et tout cela pour une oeuvre exemplaire, une formidable contribution à l'histoire de la Civilisation.".
En effet, pour son show Buffalo Bill n'a pas hésité à faire appel, et à payer, de grands chefs indiens pour y jouer leur propre rôle, mais dans une histoire bâtie pour satisfaire le public, lui vendre du rêve, le faire frissonner en revivant de grandes batailles et en y exhibant tel des bêtes de foire de grands chefs indiens : "L'idée centrale du Wild West Show était ailleurs. Il fallait stupéfier le public par une intuition de la souffrance et de la mort qui ne le quitterait plus. Il fallait le tirer hors de lui-même, comme ces petits poissons argentés dans les épuisettes. Il fallait que devant lui des silhouettes humaines poussent un cri et s'écroulent dans une mare de sang. Il fallait de la consternation et de la terreur, de l'espoir, et une sorte de clarté, de vérité extrême jetées sur toute la vie.".
Toujours plus grand, toujours plus impressionnant, telle pourrait être la devise de ce show qui a fait le tour des Etats-Unis avant de venir en Europe : "Rien n'arrête le démon de la mise en scène. Rien ne remplit assez le tiroir-caisse. Et aussitôt les curieux se pressent, la foule veut mieux voir. On ne voit jamais assez. Il y a quelque chose de grand et de beau, ou peut-être de très affreux et de très vulgaire, qui nous échappe toujours.".

A travers de courts chapitres relatant des faits avérés sur la durée de vie de ce spectacle, Eric Vuillard a montré l'envers du décors à la fois de ce show mais également de la légende qu'est Buffalo Bill.
Si avant il ne me faisait pas rêver, autant dire qu'après cette lecture il n'est même plus possible de l'envisager.
Eric Vuillard relate les faits, à partir d'une photo illustrant précisément le thème du chapitre, avec une plume toujours légèrement ironique, une plume qui grince et qui gratte efficacement le vernis pour faire apparaître la pourriture qui se cache derrière.
Son ton cynique aurait pu rebuter, il permet au contraire de mettre en lumière toute la vérité sur le personnage de Buffalo Bill et qui était réellement William Frederick Cody : un homme pour qui tout moyen était bon pour gagner le plus d'argent possible, quitte à se mettre en scène avec les ennemis d'hier, fonder une ville au nom de Cody pour avoir, comme tant d'autres, une part du gâteau dans la conquête de l'Ouest.
J'ai littéralement dévoré ce court livre, un peu fascinée par ce que j'y découvrais mais surtout horrifiée d'y lire tant d'horreurs.
Non content d'avoir massacrés les Indiens, de les avoir chassés de leur terre et parqués pire que des bêtes dans des réserves, ils ont aussi servi à amuser les foules américaines et européennes, devant jouer leur propre rôle dans une réalité qui n'était pas la leur, devant faire fi du passé et de leur honneur pour gagner quelque argent.
Il condense en quelque sorte l'envers du décors de la Conquête de l'Ouest et y dévoile ce que l'on apprend pas dans les manuels d'Histoire.

Ce roman porte bien son titre, après sa lecture il ne reste effectivement au lecteur qu'un arrière-goût aigre dans la bouche, et beaucoup de "Tristesse de la terre", mais également celle de tout un peuple bien souvent oublié de la littérature.
En écornant comme il le faut le mythe de Buffalo Bill, Eric Vuillard signe-là un beau roman fort de cette rentrée littéraire.

mardi 14 octobre 2014

Le cercle des femmes de Sophie Brocas


Lia vient d'avoir vingt ans. À la mort de son arrière-grand-mère, elle se retrouve dans sa maison de famille, dans les Landes, avec sa mère, sa grand-mère et la meilleure amie de la défunte. Durant ces quelques jours de funérailles, de deuil et d'intimité partagée, vient le moment d'échanger ses souvenirs, mais aussi de mettre de l'ordre dans les affaires de l'aïeule. Lia découvre à cette occasion des carnets de notes et des lettres soigneusement consignés dans une boîte à chaussures. À sa grande surprise, ces écrits relatent une version bien différente de la disparition du mari de son arrière-grand-mère que celle racontée depuis toujours dans le cercle familial. Poignantes, ces lettres révèlent surtout un destin brisé par la honte et le chagrin. 
Lia doit-elle garder pour elle un secret jalousement protégé pendant soixante ans par son arrière-grand-mère ? Ces révélations ne risquent-elles pas de déclencher un cataclysme parmi ces quatre générations de femmes ? Et que faire de l'image si lisse, et en vérité si faussée, qu'elle avait de cette très vieille dame ? Comment lui pardonner son mensonge ? Les conséquences de cette falsification de l'histoire familiale s'éclairent peu à peu dans l'esprit de la jeune fille et bousculent son propre rapport à la famille, aux hommes, à l'amour. Car c'est toute une lignée de femmes qui semble en avoir été victime, en porter les stigmates. (Julliard)

Qui dit rentrée littéraire dit également premier roman, c'est le cas pour "Le cercle des femmes" de Sophie Brocas.
J'annonce tout de suite la couleur : je ne vais pas faire dans la dentelle.
Certes, ce livre se lit très rapidement, il est court et les pages se tournent facilement, mais dans le fond il est plutôt creux, truffé d'absurdités et de platitudes, avec un scénario aussi prévisible qu'un éléphant dans un couloir de métro.

A l'occasion de la mort de son arrière-grand-mère, Lia, jeune vingtenaire, retrouve sa mère et sa grand-mère dans la maison familiale pour les obsèques.
Mais cette famille de femmes est maudite : depuis plusieurs générations le sort s'acharne sur elles : au même âge elles ont une fille qu'elle élèvent seule car le géniteur a fini par fuir ou a été mis de côté : "Le secret est un poison. Il s'instille partout, crée une lourdeur qu'on ne parvient pas à identifier, qui se lègue d'enfant à enfant sans même qu'on puisse le détecter. C'est en cela qu'il est dangereux. Surtout lorsque chaque génération de femme donne naissance, presque au même âge, à une fille. C'est comme un cercle vicieux, une malédiction que les inconscients se transmettent.".
Il y a donc un tabou qui règne dans cette famille, un secret qui agace au plus haut point Lia : "Il faut sans cesse leur tirer les vers du nez pour connaître l'histoire de la famille. Comme si cela n'avait aucune importance de savoir d'où l'on vient. Comme s'il fallait laisser dormir le passé. Elles m'énervent.".
Toutes ces femmes sont incapables d'aimer mais elles ne savent pas pourquoi, et c'est là qu'est un des tours de force risibles de l'auteur : sans le savoir elles le pressentent !
Et puis Lia, ça commence à l'agacer cette attitude, car c'est son petit monde et ces femmes qu'elle a idéalisées qui s'écroulent : "On croit les connaître. On les prend pour des ancres auxquelles on peut s'accrocher par gros temps. On leur fait confiance. Ils sont prévisibles. Ils rassurent. Et puis voilà que sans crier gare ils se mettent à dériver, emportés par d'invisibles courants sous-marins qu'ils cachaient au fond d'abysses noirs. Les voilà qui ne résistent plus à leurs fractures souterraines. Les voilà autres.".

La quatrième de couverture est extrêmement bavarde, limite elle raconte tout de l'histoire mais bon, j'y ai cru et je me suis dit que tout ne serait peut-être pas aussi simple.
En fait si, le secret est vite dévoilé, et c'est là que les incohérences se succèdent.
Même si l'informatique n'existait pas à l'époque j'ai du mal à croire que les mairies ne faisaient pas des recherches pour vérifier si les personnes n'étaient pas déjà mariées (parce l'arrière-grand-père il a eu la belle vie !).
Ensuite j'ai eu énormément de mal à croire que l'arrière-grand-père puisse être encore en vie, ce qui est pourtant le cas.
Certes, il est plus que centenaire, jusque là rien d'anormal, sauf qu'il est rescapé d'Auschwitz, et qu'il n'était déjà pas dans sa prime jeunesse quand il y a été interné.
Là, désolée, mais je n'y crois plus une minute et ça m'a même quelque peu agacé sur les bords que l'auteur prenne autant de liberté.
Le personnage principal de Lia est également agaçant, avec son côté petite fille gâtée qui se la joue rebelle vis-à-vis de sa famille et qui se positionne en grande sauveuse de la tradition familiale.
C'est plutôt une tête à claque dont je n'apprécierai pas forcément de croiser le chemin, tout ou presque tourne autour de son nombril, je n'aime pas que l'on positionne ainsi en victime un personnage littéraire quand il est également le narrateur de l'histoire.
Je passe sur la fin absolument soupe au lait et la morale à deux balles, ça ne vaut pas la peine d'en parler.
Passons à la plume de Sophie Brocas maintenant.
Pas de grande révolution et ça ne casse pas trois pattes à un canard, c'est écrit de façon fluide pour rendre la lecture facile mais c'est truffé de banalités et de phrases toutes faites sur l'amour à l'image de celle-ci : "La passion, c'est une faim sans limite, un excès sans fond, un besoin désespéré d'être aimé.".
Au final je suis déçue par ce premier roman qui ne contient rien qui a pu retenir mon attention, si ce n'est une couverture judicieusement choisie par la maison d'édition.

"Le cercle des femmes" de Sophie Brocas est un premier roman qui ne mérite pas que l'on s'attarde dessus, aussitôt lu et aussitôt oublié il ne marque pas les esprits tout comme le paysage de la rentrée littéraire 2014.

Top Ten Tuesday #70


Le Top Ten Tuesday (TTT) est un rendez-vous hebdomadaire dans lequel on liste notre top 10 selon le thème littéraire défini.

Ce rendez-vous a été créé initialement par The Broke and the Bookish et repris en français par Iani.

Les 10 livres qui vous ont fait changer votre vision de la lecture

Je vais à côté de la plaque cette semaine très certainement car j'avoue ne pas bien comprendre le thème, allons-y en tout cas.

1) "L'accompagnatrice" de Nina Berberova pour l'art de l'ellipse;
2) "Jane Eyre" de Charlotte Brontë pour l'histoire, les personnages fouillés et la modernité sur son époque;
3) "Lira bien qui lira le dernier" de Hubert Nyssen pour la réflexion autour du livre et du monde de l'édition;
4) "Les liaisons dangereuses" de Pierre Choderlos de Laclos pour le roman épistolaire;
5) "Suite française" de Irène Némirovsky pour la justesse des propos et la clairvoyance de l'auteur;
6) "Auschwitz et après" de Charlotte Delbo pour le fait d'avoir réussi à parler aussi justement du vécu de l'horreur des camps de la mort;
7) "Le meilleur des mondes" de Aldous Huxley pour la vision future de ce que pourrait être le monde;
8) "Les fleurs du mal" de Charles Baudelaire pour la poésie et toute sa beauté mais aussi la relation entre l'écriture et l'influence des psychotropes;
9) "Les oiseaux et autres nouvelles" de Daphné du Maurier pour la nouvelle "Mobile inconnu" et sa première phrase percutante;
10) "Chinoises" de Xinran pour la puissance des témoignages que le livre recèle;
10 bis) "Comme un roman" de Daniel Pennac, livre non lu mais dont je pense qu'il pourrait changer ma vision de la lecture.

lundi 13 octobre 2014

Le roi disait que j'étais diable de Clara Dupont-Monod


Depuis le XIIe siècle, Aliénor d’Aquitaine a sa légende. On l’a décrite libre, sorcière, conquérante : « le roi disait que j’étais diable », selon la formule de l’évêque de Tournai… Clara Dupont-Monod reprend cette figure mythique et invente ses premières années comme reine de France, aux côtés de Louis VII. Leurs voix alternent pour dessiner le portrait poignant d’une Aliénor ambitieuse, fragile, et le roman d’un amour impossible. Des noces royales à la seconde croisade, du chant des troubadours au fracas des armes, émerge un Moyen-Age lumineux, qui prépare sa mue. (Grasset)

Il s'est dit tellement de choses sur Aliénor d'Aquitaine qu'il n'est pas surprenant que Clara Dupont-Monod se soit emparé de ce personnage pour en faire l'héroïne de son nouveau roman.
Aliénor est une femme qui fascine : elle a épousé deux rois au cours de sa vie, elle s'est forgée une légende qui a traversé les siècles jusqu'à nous.
Ici, Clara Dupont-Monod s'est intéressée à la période où Aliénor a été mariée à Louis VII et où elle a donc été reine de France.
Elle la présente comme une femme de caractère fière de ses origines : "Mon prénom est un monde et personne n'y laisse son empreinte. Ni Dieu ni roi.", sachant ce qu'elle veut, n'hésitant pas à dire ce qu'elle pense : "Je connais deux moments où les rois sont ridicules. Lorsqu'ils sont en colère et lorsqu'on les épouse.", mais par-dessus tout, une femme qui s'ennuie mariée à un homme mou qui craint le pouvoir : "Le monde a la forme d'une fenêtre découpée dans une pierre épaisse. Je pourrais y rester toute la journée. J'y oublie la nostalgie de mon pays, ce palais sinistre et ce mari roi de France, roi de l'ennui.".
L'auteur aurait pu se contenter de narrer l'histoire du point de vue d'Aliénor, mais il y a une alternance avec le ressenti de Louis VII qui, s'il est effacé, n'en pense pas moins de cette diablesse qu'il a comme épouse et qui lui impose sa loi, sa façon de voir les choses, et lui dicte sa conduite : "Enfant de la colère et de la haine, Aliénor, tu n'es que ça, une enfant. A quoi servirait d'en fabriquer un ?".
Clara Dupont-Monod aime revisiter les mythes, après celui de Tristan et Yseult elle propose ici une vision différente d'Aliénor, pas toujours proche de la réalité mais qu'importe, c'est une femme de caractère qu'elle dépeint et à laquelle le lecteur ne peut que s'attacher.
Le Moyen-Âge est une période qui va bien à l'auteur, elle aime s'y replonger et arrive à donner vie aux personnages et aux lieux, le rendant ainsi lumineux aux yeux du lecteur émerveillé qui découvre un univers jusqu'alors rêvé.
La première chose qui m'a attirée dans ce roman, c'est son titre, tiré d'une formule de l'évêque de Tournai; ensuite, c'est la plume de l'auteur dont j'apprécie particulièrement le style.
Ce roman ne fait pas exception, aussitôt que je me suis plongée dedans je n'ai pu le lâcher.
J'ai été emportée par la double voix de narration et par les mots toujours si beaux et si justes de Clara Dupont-Monod.
Au-delà de l'histoire romancée il y a tout un fond documentaire historique sur lequel s'est appuyé l'auteur, autant dire que j'apprécie lorsqu'il y a eu un travail de recherche et que celui-ci se ressent à la lecture.
A la suite de cette lecture, ma vision d'Alinéor d'Aquitaine a changé, elle m'est un peu plus familière et j'en aime assez le portrait qu'en dresse Clara Dupont-Monod : une femme de caractère aimant les arts qui a su s'imposer dans un Moyen-Âge masculin.
Presque un modèle dont pourraient s'inspirer les femmes aujourd'hui.

"Le roi disait que j'étais diable" de Clara Dupont-Monod fait partie de ces livres de la rentrée littéraire 2014 que j'attendais avec impatience.
J'ai été une nouvelle fois enchantée par le style de l'auteur et par le portrait qu'elle dresse de son héroïne : la belle Aliénor d'Aquitaine, une femme dite libre, ou encore conquérante, voire un peu sorcière sur les bords, sans doute un peu tout cela mais qui pourrait dire aujourd'hui où s'arrête la réalité et où commence le mythe ?

dimanche 12 octobre 2014

Le livre de Dina Tome 3 Mon bien-aimé est à moi de Herbjørg Wassmo


Les hivers nordiques se succèdent avec rudesse sur le domaine de Reisnes. Quand les habitants semblent gagnés par le calme, le souffle vengeur de Dina s'élève des profondeurs nocturnes et sévit. S'attachant aux morts pour vaincre leur absence, guettant éperdument le retour de ceux qui la quittent, Dina, fièvre sanglante, ne connaît pas le repos... (10/18)

A ceux qui pensent que l'amour a calmé les passions qui habitent Dina, qu'ils se détrompent car il n'en est rien : "L'amour est une vague faite seulement pour la plage qu'elle rencontre. Je ne suis pas une plage. Je suis Dina. Je regarde ces vagues. Je ne peux pas me laisser submerger.".
Dina garde la tête froide, elle sait où réside son intérêt et est prête à tout pour conserver ce qu'elle a bâti, je dis bien à tout mais pas plus, car cela serait dévoilé le troisième et dernier volume de cette saga littéraire nordique riche en émotions.
Dina reste une indomptée, c'est elle qui soumet les autres à sa volonté et non l'inverse, et gare à ses colères : "C'était toujours comme ça avec Dina. Elle fonçait comme un requin et frappait par tous les moyens là où l'on s'y attendait le moins.".
Dans ce troisième tome, il est question d'amour et si j'ai bien cru que Dina allait se laisser séduire c'est parce que j'ai un peu trop vite oublié qui elle était et de quel bois elle était faite.
Le titre est d'une possession folle, à l'image des sentiments qui habitent Dina : plus que jamais elle vit avec les morts qui la guident dans sa vie quotidienne et quand à force d'attendre en vain un homme qui ne revient pas elle prend le taureau par les cornes pour lui rappeler qui est le maître, le seul et l'unique : elle.
Dina apparaît plus fragile dans cette histoire, mais ce n'est que pour mieux s'endurcir par la suite et jeter aux oubliettes un amour qu'elle a cru possible et qu'aujourd'hui elle mâte de toutes ses forces : "Ils se mesuraient du regard comme deux mâles qui marquent leur territoire. Il n'y avait pas ombre de flirt dans leurs regards.".
En fait, si Dina apparaît faible c'est aussi dans ce tome qu'elle donne toute la puissance de sa rage et de son caractère.
C'est toujours avec autant de plaisir que j'ai retrouvé la plume magnifique de Herbjørg Wassmo dans ce livre qui clôt la série "Le livre de Dina".
L'auteur, une fois encore, ne ménage pas son lecteur et l'envoûte à travers le personnage haut en couleurs, en contraste avec le temps rude du Nordland et ses paysages désertiques, qu'est Dina.
Une fois commencé je n'ai pu m'arrêter de lire ce livre et si le premier chapitre du premier tome m'avait bluffée, la conclusion de celui-ci également puisqu'il permet ainsi de boucler la boucle comme on dit.
Je ne m'attendais pas à ça, quoi que j'avais quelques doutes sur la seule issue possible.
Cette histoire est vraiment forte et riche en émotions, elle n'est pas chargée par les dialogues, d'ailleurs il n'y en a pas beaucoup, mais elle a quelque chose de bien particulier qui n'appartient qu'à elle.
Les descriptions sont très réalistes, l'auteur y utilise l'ellipse littéraire pour aller à l'essentiel mais ne perd jamais son lecteur, celui-ci comprend toujours très bien tout ce qui s'y passe.
J'ai eu un réel coup de cœur pour cette série et pour son auteur, pour l'avoir fait lire à mon entourage c'est également le cas.
De plus, je trouve qu'à chaque fois les extraits de la Bible qui illustrent les chapitres sont toujours bien choisis et collent parfaitement au contenu.

"Mon bien-aimé est à moi", et j'ajouterai que dans le cas de Dina, si elle ne peut l'avoir alors nul ne le pourra.
Inutile de résister, ce troisième tome exerce la même attraction que les deux premiers et ne peut se lâcher avant la fin.
Je ne peux que recommander vivement la lecture de cette formidable saga littéraire venue du froid, à consommer de toute urgence et sans modération.

Livre lu dans le cadre du Plan Orsec 2014 pour PAL en danger / Chute de PAL


Mort et vie de Lili Riviera de Carole Zalberg


Lili Riviera, ex-star du porno aux excessives courbes sculptées par la chirurgie, vient de mourir. Que fut sa vie ? Que fut son enfance ? Que fut ce corps, désormais déformé et avachi, au temps de sa sensualité agressive ? Portrait d'une petite fille cachée derrière les attributs monstrueux d'une créature à fantasmes, ce récit déchirant parle avant tout d'un éperdu besoin d'amour jamais comblé. (Actes Sud)

Lili Riviera, ex-star du porno sculptée au scalpel chirurgical pour offrir rêves, désirs et fantasmes à tous les mâles vient d'être retrouvée morte chez elle.
Même les pompiers qui accourent à son domicile rêvent de la sauver, ce nom synonyme pour eux d'images devant lesquelles ils assouvissent leurs fantasmes : "Lorsque l'appel était parvenu aux pompiers, ils s'étaient même battus pour se rendre sur place et peut-être la sauver, cette bombe que certains avaient placardée dans leur casier, sa poitrine de foire au niveau du regard ou sa bouche-ventouse à hauteur de queue, au choix. Souvent les deux, en fait. Les clichés d'elle, très clairement conçus pour faire bander et non rêver - tout comme son corps réinventé d'ailleurs-, ne manquaient pas.".
Mais à l'arrivée la déception est grande, car de la Lili Riviera provocante et objets de tous les fantasmes plus ou moins avouables il ne reste qu'un pantin disloqué n'attirant que la pitié et le dégoût : "C'est une pauvre fille qui est là, dans un fouillis de draps et de peluches ridicules. Une créature dont la solitude effroyable saute au visage et force à détourner les yeux.".
Poussière tu fus et poussière tu es redevenue, mais qui étais-tu Lili Riviera ?

C'est à cette question que Carole Zalberg répond dans ce roman, en s'intéressant à Lili petite fille, son enfance entre une mère la brimant systématiquement et un père s'écrasant en carpette devant sa femme; à Lili adolescente trop tôt tombée dans les griffes d'un vilain garçon qui la transforme en carpette à hommes, il offre son corps à tous les hommes qui veulent et de cela Lili en gardera toute sa courte vie le besoin viscéral d'être serrée dans des bras masculins pour faire taire ses angoisses : "La nuit, rien d'autre ne chasse ses terreurs que des bras d'hommes. Pas leur sexe ni leurs prouesses, contrairement à ce qu'ils croient tous. Elle veut seulement des bras forts entre elle et le froid de la mort. Car Lili, qui ne croit pas et se sait nécessairement guettée par la défaillance à force de se malmener, est terrifiée à l'idée de sa propre fin."; et enfin à Lili adulte dont il ne reste plus grand chose d'origine puisque patiemment et méthodiquement elle a tout effacé d'elle pour se faire construire par la chirurgie un sarcophage protecteur : "Plus elle s'éloignait de son vrai visage et plus elle se libérait de toute pudeur, de toute idée de faute; moins elle savait qui elle était et plus elle se sentait à l'abri.".
Lili a cru que le bistouri ferait son bonheur, il a au contraire continué à l'enfoncer un peu plus dans le malheur et dans une spirale dont elle n'a jamais eu la moindre chance d'en sortir : "Elle a rêvé autrefois qu'au fond de ce corps elle serait tranquille et bien cachée, mais les yeux, quand ils sont sans désir, percent la chair et ses déguisements.".
Alors oui, Lili a attiré sur elle le regard des hommes, à suscité chez eux l'envie et elle n'a jamais su leur dire non, elle s'est étourdie dans les nuits de musique, d'alcool, de paillettes et d'exhibitions pour s'oublier, enfouir son moi le plus profond et n'être qu'une apparence aux yeux des autres.
Dans le fond, Lili n'a pas grandi dans son esprit, elle a remplacé le nounours de son enfance par un homme différent chaque nuit et elle a passé sa vie à quémander l'amour des hommes pour remplacer celui que ses parents n'ont jamais su lui donner, par méchanceté pour sa mère et par lâcheté pour son père.
La véritable Lili Riviera, c'est une petite fille qui hurle et pleure d'angoisse dans le corps d'une femme devenue poupée qui dit oui à tout et à tous.
C'est une histoire dure qui est ici racontée, j'ai été beaucoup touchée par le destin de Lili Riviera et plus d'une fois j'ai eu envie de la prendre dans mes bras et de prendre le temps de parler avec elle pour essayer de l'aider.
Dans le fond, le personnage de Lili Riviera canalise certaines de nos envies, celles de se dire que si on était comme-ci on aurait plus de succès et que c'est parce que l'on est comme-ça que l'on en a moins voire pas, on est attiré par tout ce qui brille mais on ne réalise pas toujours à quel point on pourrait s'y brûler les ailes; Lili Riviera est là pour nous aider à y voir plus clair et à arrêter d'espérer qu'être une autre pourrait radicalement améliorer notre vie et nous amener le bonheur.
De toute façon, il n'y a pas de recette miracle pour le bonheur.
A travers cette histoire, on y voit aussi un peu plus clair concernant les personnes toxiques que l'on peut un jour croiser, pouvoir les reconnaître afin de les éviter.
La structure du titre du roman est bâtie à l'image de la structure narrative : le roman s'ouvre par la mort de Lili Riviera, ensuite vient sa naissance et son enfance, puis les derniers mois de sa vie, son enfance à l'école et ainsi de suite.
Le récit est un dialogue permanent entre le présent et le passé, la mort et la vie de Lili Riviera.
J'ai beaucoup apprécié la structure de ce roman qui permet de bien saisir toutes les nuances du personnage et d'en comprendre le fonctionnement intérieur, et surtout, de ne pas le juger mais de ressentir pour lui une empathie profonde et sincère.
J'aime énormément le style de Carole Zalberg découverte avec "A défaut d'Amérique", ici encore j'ai retrouvé toute la beauté, la richesse et la justesse de sa plume, un pur moment de bonheur littéraire.

A toi qui rêves de strass, de paillettes, de projecteurs et de coups de bistouris pour te donner un physique de rêve, prends donc le temps de lire "Mort et vie de Lili Riviera", l'histoire déchirante d'une femme qui n'a cessé de quémander un peu de tendresse et qui pour cela n'a pas hésité à se dé-construire et à se dé-former, pour finir dans le dénuement affectif le plus complet.
Un très beau livre, un véritable style.

Livre lu dans le cadre du Plan Orsec 2014 pour PAL en danger / Chute de PAL


Une femme vertueuse de Kaye Gibbons


C’est un récit à deux voix, une alternance de monologues intérieurs entre Jack Ernest Stokes, un vieil ouvrier de ferme et Ruby, sa femme, vingt ans de moins. Ruby était belle comme un cœur lorsque Jack l’a rencontrée. Jusqu’au jour où l’on apprend que Ruby va mourir d’un cancer. Le roman s’ouvre sur les préparatifs de Ruby : trois mois de plats tout préparés à mettre au congélateur et destinés à Jack après la mort de Ruby. Ruby et Jack racontent, l’un après l’autre, les épisodes tragi-comiques de leur vie quotidienne avec un sens du grotesque tout à fait hors du commun. Et c’est tout le vieux Sud rural des Etats-Unis qui resurgit, avec ses fermiers d’hier, Noirs et Blancs, dans le monde contemporain. (Rivages)

Ruby a rencontré Jack après un mauvais mariage avec un homme qui ne la respectait pas, qui l'avait éloignée de sa femme et qui lui a en prime collé le vice de la cigarette.
Ruby a vingt ans de moins que Jack, elle est belle, drôle, déterminée, a une certaine morale qui fait d'elle une femme vertueuse, tandis que lui est solitaire, peu bavard mais un travailler agricole acharné.
Ils se respectent et s'aiment mais n'ont jamais pu avoir d'enfant.
Aujourd'hui, Ruby vient d'apprendre qu'elle va mourir, d'un cancer dû à l'excès de consommation de cigarettes : "C'est drôle de penser que quelque chose qui m'avait servi, au début, à me tirer d'affaire, ne m'a plus quittée ensuite et ne m'a fait que du mal. Je n'ai rien fait contre et, j'ai honte de le dire, à l'heure qu'il est, je donnerais ma vie pour une cigarette - sauf que je ne n'ai plus de vie à donner.".
Mais plutôt que de penser à elle, c'est à Jack qu'elle pense, à comment il va vivre après elle et qu'il ne saura pas s'occuper de lui.
C'est pour cela qu'elle lui prépare au congélateur trois mois de plats à réchauffer, parce qu'elle sait que Jack n'y arrivera pas sans elle tout comme lui sait qu'il n'y arrivera pas sans elle : "Je sais aujourd'hui que le monde repose sur la force des femmes. C'est elles qui l'ont construit et qui l'entretiennent, elles qui s'agenouillent, qui s'accroupissent, qui tirent, qui se penchent, et qui se relèvent lorsqu'il faut aller faire ce qu'il y a à faire.".
En attendant la mort, ils se racontent à tour de rôle : leur passé, leur rencontre, leur histoire, leurs années heureuses de mariage, leurs joies, leurs peines, leurs espoirs, leurs déceptions.

Kaye Gibbons a choisi de construire son récit en alternant la narration entre Ruby et Jack, et même si la structure temporelle n'est pas respectée il n'en reste pas moins que la trame est cohérente du début à la fin.
C'est une histoire très touchante qui est ici racontée, je n'ai pas pu résister au charme de ce couple qui se raconte et que rien ne prédestinait à se rencontrer.
J'ai souffert avec Ruby, cette femme que la vie n'a pas épargné, sans doute parce que des Ruby il m'est arrivée d'en croiser, de ces femmes qui toute leur vie n'ont pas été épargnées par le destin et par la maladie, qui ont dû se battre, tout le temps, même si au final la mort a été la plus forte.
J'aime à croire que pour ces femmes-là même si c'est la mort qui l'emporte à la fin elle n'est pas victorieuse.
Le destin tragique de Ruby est doublement injuste car poussée dans la misère et éloignée de sa famille par son premier mari, c'est encore à lui qu'elle doit d'être devenue accro à la cigarette et d'en mourir aujourd'hui d'un cancer.
Jack n'en est pas moins touchant tant il est le portrait de l'homme qui se trouve totalement démuni sans la femme qu'il aime à ses côtés pour l'aider dans la vie quotidienne et les gestes simples de tous les jours comme se faire à manger ou sa lessive.
Et là où Kaye Gibbons a réussi un tour de force c'est qu'elle aurait pu se contenter d'en faire un roman tragique, mais il y a aussi des scènes comiques, des anecdotes amusantes du passé qui font sourire le lecteur et atténuent quelque peu sa peine à la lecture de cette fatalité et du mauvais sort qui poursuivent Ruby.
L'autre point fort de ce roman, c'est que Kaye Gibbons y décrit de façon très visuelle et vivante l'ambiance du Sud des Etats-Unis, le Sud rural avec des personnages hauts en couleur et une vie pas toujours évidente et bien souvent faite de misères, ce qui ne l'empêche pas d'être joyeuse et que les personnages finissent par y trouver leur bonheur.
Ce livre a un côté intemporel tant il pourrait avoir été écrit hier comme il y a cinquante ans, sans connaître la biographie de l'auteur il est difficile de la situer à une époque bien précise, voilà sans doute la marque d'un grand roman qui fait de ce livre et de son auteur des incontournables dans le paysage de la littérature féminine américaine.

"Une femme vertueuse" n'est que le deuxième roman de Kaye Gibbons dans sa bibliographie qui, au final, ne compte pas tant de livres que cela mais il réussit à évoquer, à travers les voix de Ruby et de Jack, une histoire extrêmement touchante se déroulant dans le Sud profond et rural américain, une belle lecture qui me marquera pendant longtemps.

Livre lu dans le cadre du Challenge Romancières américaines


Livre lu dans le cadre du Plan Orsec 2014 pour PAL en danger / Chute de PAL


samedi 11 octobre 2014

Le livre des nuits de Sylvie Germain


Parti des confins de la terre et de l'eau, Victor-Flandrin Péniel, portant au cou les larmes de son père dont le visage fut sabré en 1870 par un uhlan, et toujours accompagné d'une mystérieuses ombre blonde, viendra s'établir dans un hameau perdu au bout du territoire et encerclé de forêts où rôdent encore les loups. C'est dans ces terres frontalières, par où la guerre sans cesse refait son entrée au pays, et dans la vie et la mémoire des hommes, que Victor-Flandrin, dit Nuit-d'Or-Gueule-de-Loup, prendra femme, par quatre fois, et engendrera une nombreuse descendance, toute marquée par la gémellité et la violence de la passion. (Folio)

Victor-Flandrin Péniel dit Nuit-d'Or-Gueule-de-Loup est un enfant de l'inceste, né de la folle passion de son père Théodore-Faustin au visage sabré par un uhlan en 1870 pour sa fille, un père qui est passé de la lumière la plus aveuglante à l'ombre la plus obscure : "Puisque le monde n'était qu'un obscur bas-fond où Dieu prenait plaisir à voir patauger et souffrir les hommes, il se devait de dénoncer à tous cette méchanceté divine et de clamer partout la puanteur humaine.".
Le fils porte désormais autour du cou les larmes de son père et est accompagné par une mystérieuse ombre blonde.
Il quitte le fleuve pour s'établir dans un endroit reculé de la campagne, entouré par la forêt.
Victor-Flandrin va succomber à la vie et à l'amour : "Mais la beauté, comme l'amour, veulent toujours faire retour et monter à l'aigu. Et ils ont de l'enfance le charme allègre et insolent, l'instinct du jeu, l'art de la séduction et l'absence de remords."", plusieurs fois puisqu'il prendra femme par quatre fois et engendrera de nombreux enfants tous marqués par la gémellité.
Il faudra bien des années et bien des obstacles pour qu'enfin se referme son livre et qu'un nouveau commence : "Le dernier mot n'existe pas. Il n'y a pas de dernier nom, de dernier cri. Le livre se retournait. Il allait s'effeuiller à rebours, se désœuvrer et puis recommencer. Avec d'autres vocables, de nouveaux visages.".

C'est presque un siècle d'histoire de France dans lequel Sylvie Germain entraîne le lecteur avec ce roman dense et puissant.
Non pas dense par le nombre de pages mais par l'urgence et tout le contenu de l'histoire; quant à sa puissance elle vient du style remarquable de l'auteur qui a su croquer avec justesse, réalisme et vie toute l’âpreté de la vie et de la nature.
Nuit-d'Or-Gueule-de-Loup est un être broyé par la vie et le destin, protégé par sa grand-mère il apprend bien tôt à se débrouiller par lui-même et ne doit son salut de ne pas partir dans les tranchées de 14-18 qu grâce à un geste de folie de son père qui lui a tranché des doigts lorsqu'il était enfant afin qu'il ne puisse connaître l'horreur de la guerre qu'il avait lui-même connu et qui l'avait laissé défiguré.
Mais si ce n'est lui qui part à la guerre, ce sont ses deux aînés qui vont y aller et en revenir meurtris dans leur chair et dans leur esprit à jamais.
Et comme si une guerre ne suffisait pas, celle de 39-45 viendra de nouveau lui ôter le bonheur et la joie qui illuminaient de nouveau sa vie.
De ses garçons et de ses filles il n'en restera pas grand chose, tous et toutes seront marquées par la folie et devront payer au prix fort leurs passions amoureuses, comme s'ils avaient été marqués par le sort et le destin.
Ce roman et le style d'écriture de Sylvie Germain m'ont beaucoup fait penser à l'oeuvre de Jean Giono, par le caractère rude des personnages et la dureté de la nature qui ne se laisse pas dompter.
Mais il y a dans ce roman une dimension fantastique que l'on ne retrouve pas chez Jean Giono et qui lui permet de se distinguer d'une autre façon de cet auteur.
Le destin de Nuit-d'Or-Gueule-de-Loup relève du conte fantastique, à la manière des contes de fées de notre enfance il lui faudra beaucoup souffrir, beaucoup se battre, pour pouvoir connaître la paix et le bonheur intérieur, ce que sa descendance directe ne connaîtra d'ailleurs pas.
Si je conçois que cette dimension fantastique puisse surprendre et déranger ce ne fut pas le cas pour moi et j'ai beaucoup apprécié sa venue dans le récit.
Elle tend à enrichir ce qui n'aurait pu être qu'une banale saga familiale et donne toute sa beauté à ce roman.

"Le livre des nuits" de Sylvie Germain fait partie de ces romans que j'appréhendais, à tort, de lire.
Sans doute en grande partie à cause de la couverture, et du fait que la quatrième de couverture ne pose que l'introduction de ce roman sans en dévoiler la matière.
Grand bien m'en a pris de finir par ouvrir ce livre, j'ai été séduite par l'histoire et par la plume de Sylvie Germain, une auteur que je garde en mémoire et dont il me tarde désormais de découvrir la suite de son oeuvre.

Livre lu dans le cadre du Plan Orsec 2014 pour PAL en danger / Chute de PAL



Livre lu dans le cadre du Prix des Lectrices 2014