lundi 12 janvier 2015

Cette nuit, je l'ai vue de Drago Jančar


Veronika Zarnik est de ces femmes troublantes, insaisissables, de celles que l’on n’oublie pas. Sensuelle, excentrique, éprise de liberté, impudente et imprudente, elle forme avec Leo, son mari, un couple bourgeois peu conventionnel aux heures sombres de la Seconde Guerre mondiale, tant leur indépendance d’esprit, leur refus des contraintes imposées par l’Histoire et leur douce folie contrastent avec le tragique de l’époque. 
Une nuit de janvier 1944, le couple disparaît dans de mystérieuses circonstances, laissant leur entourage en proie aux doutes. Qui était vraiment Veronika ? Quelle fut vraiment sa vie ? Que cachait-elle ? Cinq proches du couple tentent alors de cerner l’énigmatique jeune femme et délivrent, par fragments, les nombreuses facettes de sa personnalité, et ainsi reconstruisent son histoire, celle de son mari et celle de la Slovénie. Une oeuvre polyphonique magistrale ! (Phébus)

Il y a des romans qui viennent entre nos mains on ne sait trop pourquoi, celui-là c'est parce qu'il était en tête de gondole à la bibliothèque et que le titre et la couverture m'ont plu, et simplement ensuite le résumé.
Et puis c'est de la littérature Slovène, et je n'en avais jamais lu jusqu'à présent.
Pour toutes ces raisons je me suis lancée dans la lecture de ce roman chorale qui tourne autour de deux axes : le premier est une femme, Veronika Zarnik, qui a disparu une nuit de janvier 1944 avec son mari et qui est au cœur des réflexions de chacun des cinq personnages qui vont se raconter et la raconter, et ainsi permettre au lecteur de la découvrir; le second est cruellement d'actualité puisqu'il s'agit de la liberté, tout simplement, illustrée par le personnage de Veronika mais surtout par la présence constante de chevaux dans l'histoire, cet animal illustrant la liberté.
Qui était Veronika Zarnik ?
L'épouse de Leo, ce mari qui n'apparaîtra que dans les récits des différentes voix qui vont se succéder, la maîtresse de Stevo pour qui elle quittera un temps son mari et sa ville, l'amie de Horst Hubermayer, un médecin Allemand, la fille de celle que tout le monde appelle Madame Josipina, la femme dirigeant le domaine où travaillaient Jozi et Jeranek.
Ce sont d'ailleurs ces cinq personnes qui vont porter au lecteur un éclairage sur la personnalité de Veronika, en racontant leurs souvenirs immédiatement, ou dans l'après-guerre, ou pour certains près de cinquante ans après les faits.
Veronika est une femme libre qui a beaucoup fasciné et séduit les femmes comme les hommes : "Elle était intouchable. Attirante, mais intouchable.", une femme semblable à son cheval avec qui elle fait corps.
Elle est aussi une femme de tradition et bien qu'elle suive son instinct pour vivre ses passions, elle écoute aussi parfois la voix de la raison, sa mère, ainsi elle revient chez son mari quelques années après avoir pris la fuite avec son amant.
Une mère qui aujourd'hui regrette d'avoir poussé sa fille à revenir : "Elle aurait peut-être eu l'âme en peine à Maribor, mais elle serait en vie. Je veux dire qu'en tout cas, je saurais qu'elle est en vie et en bonne santé, on pourrait se parler au téléphone.".
Mais dans le fond, ce qui ressort de ce récit c'est que des femmes comme Veronika suscitent autant de fascination que de haine, tout comme le couple qu'elle forme avec son mari : "On vit une époque où on ne respecte que les gens, vivants ou morts, qui étaient prêts à se battre, même à se sacrifier pour les idées qu'ils ont en partage. C'est ce que pensent les vainqueurs et les vaincus. Personne n'apprécie les gens qui ne voulaient que vivre.".
Ce roman n'est pas exceptionnellement long mais il est d'une densité rare.
Les cinq témoignages se succèdent les uns à la suite des autres, dans un ordre temporel, et ont une cohérence les uns avec les autres ainsi qu'un fil conducteur : Veronika.
C'est un récit hanté par le fantôme d'une femme, un insaisissable spectre qui fascine autant le lecteur que les narrateurs.
Cette histoire est d'une beauté remarquable, je l'ai suivie avec passion, et j'ai tenté, en vain, d'attraper au vol la libre Veronika, mais je n'y suis pas parvenue.
Le fond m'a laissée par terre, la forme aussi.
Le style de l'auteur est tout simplement remarquable, à aucun moment Veronika n'intervient en direct et pourtant rarement personnage n'aura été si vivant à travers les lignes qui la racontent.
J'y ai ressenti toute la nostalgie, les regrets, le désespoir, l'amour des personnages, avec une forme de poésie se dégageant de l'ensemble, comme une complainte adressée aux disparus.
Et l'auteur m'a permis à travers ce roman de me transporter et de faire revivre une Europe Centrale qui n'existe plus, ou plutôt sous une forme différente.
Un véritable coup de maître pour lequel je ne suis pas surprise d'avoir découvert après-coup que ce roman avait reçu le Prix du meilleur livre étranger 2014.

"Cette nuit, je l'ai vue" de Drago Jančar est un roman polyphonique magistral, une très belle claque littéraire en ce début d'année et une très belle découverte d'un auteur Slovène qui porte haut les couleurs de la littérature d'Europe Centrale.

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