vendredi 19 juin 2015

Amours de Léonor de Récondo


Nous sommes en 1908. Léonor de Récondo choisit le huis clos d’une maison bourgeoise, dans un bourg cossu du Cher, pour laisser s’épanouir le sentiment amoureux le plus pur – et le plus inattendu. Victoire est mariée depuis cinq ans avec Anselme de Boisvaillant. Rien ne destinait cette jeune fille de son temps, précipitée dans un mariage arrangé avec un notaire, à prendre en mains sa destinée. Sa détermination se montre pourtant sans faille lorsque la petite bonne de dix-sept ans, Céleste, tombe enceinte : cet enfant sera celui du couple, l’héritier Boisvaillant tant espéré. Comme elle l’a déjà fait dans le passé, la maison aux murs épais s’apprête à enfouir le secret de famille. Mais Victoire n’a pas la fibre maternelle, et le nourrisson dépérit dans le couffin glissé sous le piano dont elle martèle inlassablement les touches. Céleste, mue par son instinct, décide de porter secours à l’enfant à qui elle a donné le jour. Quand une nuit Victoire s’éveille seule, ses pas la conduisent vers la chambre sous les combles… Les barrières sociales et les convenances explosent alors, laissant la place à la ferveur d’un sentiment qui balayera tout. (Sabine Wespieser)

Depuis que j'ai découvert la plume de Léonor de Récondo avec "Rêves oubliés", c'est avec plaisir que je lis chaque année le nouveau roman de cette jeune auteur qui non seulement a du style mais sait se renouveler dans les histoires qu'elle nous conte.
Après des réfugiés Espagnols et Michelangelo, Léonor de Récondo s'intéresse à la bourgeoisie du début du vingtième siècle, et plus particulièrement à l'amour, une thématique chère à l'auteur et qui se retrouve dans tous ces romans.
Victoire de Boisvaillant est une femme qui subit, elle s'est mariée parce que sa mère lui a vanté une vie conjugale idyllique et parce qu'à l'époque cela se faisait, depuis cinq ans c'est un tout autre univers qu'elle a découvert dans lequel elle est prisonnière sans espoir de fuite : "Pourquoi nous a-t-on tant menti durant notre enfance ? Sur la vie conjugale, sur tout ce qui est censé faire le bonheur d'une femme ?".
Céleste, elle, est une jeune femme qui n'a guère d'illusions sur la vie mais qui subit aussi, les assauts sexuels (pour ne pas dire les viols vu son non consentement) d'Anselme de Boisvaillant, dans le silence le plus complet car une bonne, ça encaisse tout et ça ne doit jamais rien dire : "Garde la tête haute, c'est tout ce que nous pouvons faire, nous autres ! Garder la tête haute pour faire croire qu'on n'a pas honte.".
Anselme quant à lui, est un homme chargé de travail et indolent, un homme bien de son temps qui profite, use et abuse des privilèges de sa classe sociale, et qui ne s'y entend guère en matière de gente féminine : "Les femmes vivent dans un monde si étrange, si peu compréhensible. Toujours changeant.".
Mais un beau jour, Céleste se découvre enceinte, Victoire le découvre également, mais qu'importe, elle prend une décision : cet enfant sera celui de son couple.
Mais Victoire n'a que peu d'instinct maternel, pendant un temps chacun des protagonistes reste dans son coin : "Sous les tuiles en ardoise de la maison bourgeoise, quatre personnes sont couchées, seul l'enfant dort. Les autres gardent les yeux grands ouverts. Chacun dans sa pièce, chacun dans sa solitude profonde, hanté par des rêves, des désirs, des espoirs qui ne se rencontrent pas, qui se cognent aux murs tapissés, aux taffetas noués d'embrasses - métrages de tissu qui absorbent les soupirs pour n'en restituer qu'un écho ouaté.", puis Céleste approche l'enfant, et Victoire approche l'enfant et Céleste, et c'est alors que se noue entre les deux femmes un amour aussi puissant qu'inattendu.

"De la vie, on ne garde que quelques étreintes fugaces et la lumière d'un paysage.", j'espère en tout cas garder un peu plus que cela de ma propre vie, mais à cette époque et dans ce contexte social, ces personnages féminins ne pouvaient guère attendre autre chose de la vie.
J'ai beaucoup aimé ce roman de Léonor de Récondo, tout d'abord parce que la plume est magnifique.
Il y a une forme de musicalité dans son écriture, ce qui est peu surprenant puisqu'elle est musicienne avant d'être écrivain, et son roman est orchestré de main de maître.
Elle a su lui donner du rythme et le construire comme une symphonie, voilà un style et une harmonie qui ont su trouver un écho en moi.
Les premiers mots m'ont de suite mise dans l'ambiance, je subissais en même temps que Céleste et le ton était ainsi donné.
La construction du roman est à la fois lente et rapide, lente parce que l'auteur prend le temps de poser ses personnages et de mettre en place les pions du jeu; rapide parce que le paroxysme de l'intrigue est relativement fulgurant sans toutefois exploser en plein vol.
Et puis il y a deux beaux portrait féminins, qui sont diamétralement opposés de par leur condition sociale mais qui vont pourtant se réunir et vivre quelque chose de fort.
L'une comme l'autre va se découvrir, s'ouvrir à l'autre et connaître un pur moment d'extase comme il en existe peu dans une vie.
C'est une relation qui permet de développer les différentes formes que revêt l'amour : charnel, maternel notamment; et qui donne ainsi son titre au roman.
J'ai beaucoup apprécié cette exploration, je l'ai trouvée à la fois touchante et profondément juste, et de toute beauté car elle fait littéralement voler en éclat les convenances et les barrières sociales, une petite révolution lorsque l'on se replace dans le contexte historique.
J'ai également trouvé ce roman très visuel, peut-être parce que j'avais vu le "Journal d'une femme de chambre" peu de temps avant au cinéma, il m'était alors facile de prêter les traits de Léa Seydoux à Céleste ou à Victoire, je n'ai pas vraiment réussi à me décider, et ceux de Vincent Lindon à un personnage secondaire du roman.
Il n'en demeure pas moins que je pense que ce roman ferait une formidable adaptation cinématographique, à bon entendeur salut.

"Amours" de Léonor de Récondo est un très beau roman sur l'amour sous toutes ses formes, sur une époque et une ambiance bourgeoise début du vingtième siècle, en somme une partition de musique franchement réussie que Léonor de Récondo orchestre d'une main sûre, une nouvelle fois ai-je envie d'ajouter tant cette auteur conserve ses qualités et sa fraîcheur au fil de ses œuvres.
Et que ce roman ait été couronné de deux prix littéraires n'est pas surprenant, juste mérité.

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