mercredi 10 juin 2015

D'acier de Silvia Avallone


Il y a la Méditerranée, la lumière, l’île d’Elbe au loin. Mais ce n’est pas un lieu de vacances. C’est une terre sur laquelle ont poussé brutalement les usines et les barres de béton. Depuis les balcons uniformes, on a vue sur la mer, sur les jeux des enfants qui ont fait de la plage leur cour de récréation. La plage, une scène idéale pour la jeunesse de Piombino. Entre drague et petites combines, les garçons se rêvent en chefs de bandes, les filles en starlettes de la télévision. De quoi oublier les conditions de travail à l’aciérie, les mères accablées, les pères démissionnaires, le délitement environnant… Anna et Francesca, bientôt quatorze ans, sont les souveraines de ce royaume cabossé. Ensemble, elles jouent de leur éclatante beauté, rêvent d’évasion et parient sur une amitié inconditionnelle pour s’emparer de l’avenir. (Liana Levi)

A Piombino, triste cité industrielle de Toscane faisant face à l'île d'Elbe, il n'y a d'autre choix pour les jeunes que de troquer le cartable pour le bleu de travail pour aller fondre l'acier dans l'usine de la Lucchini, ou alors de partir.
Anna et Francesca, bientôt quatorze ans, sont amies depuis l'enfance et règnent en reine sur ce royaume, narguant de leur insolence les autres filles plus moches qu'elles et moins bien dans leur peau, et suscitant le désir chez les garçons.
Anna et Francesca ont toute la vie devant elles : "Le monde était encore à venir. Le monde, c'est quand on a quatorze ans.", et leur avenir elles l'imaginent loin de Piombino, car l'île d'Elbe revêt pour elles un caractère de rêve et de suprême accomplissement.
Pour cela, elles misent tout sur leur amitié, sur cet amour si fort qui les lie l'une à l'autre : "Et elle éprouvait un amour exagéré, oui, de l'amour pour cet être qui la regardait d'un air si complice, elle la sentait si proche et réconfortante, infiniment douce et tiède et intense.".
Mais c'est aussi le temps des premiers amours, et c'est un garçon qui va mettre à mal le lien si fort qui unissait jusqu'alors les deux jeunes filles dans un même rêve, un même espoir.

Quel portrait fidèle de l'Italie des années 2000 !
J'ai été dès les premiers mots immédiatement emportée dans l'atmosphère de cette ville de Piombino située en Toscane et qui pourtant fleure bon le Sud de l'Italie, avec les difficultés à trouver un emploi, les petites et grosses magouilles des hommes pour faire vivre leur famille, des filles qui se rêvent en star pour échapper à leur quotidien, à leur ville et à leur vie où rien ne les attend, hormis le même destin que leur mère.
Il y a le linge qui sèche aux fenêtres, le soleil étouffant, la mer si belle, les mères si courageuses qui portent à bout de bras leur famille et les pères démissionnaires qui attendent que le temps file en matant par la fenêtre les jeunettes en maillot de bain sur la plage et en refaisant le monde accoudés au comptoir d'un bar.
Une partie de ce qui fait l'Italie, et d'une certaine façon son charme.
Outre cette atmosphère, j'ai littéralement été séduite par les personnages d'Anna et de Francesca.
J'ai aimé suivre leur si belle amitié, leur amour si profond, leur déchirement, leur ignorance, le mal qu'elles s'infligent à elle-même, un mal nécessaire pour mieux grandir et retrouver ses valeurs tout en ayant envie de leur ouvrir les yeux pour que cesse leur souffrance.
Francesca est sans doute celle qui m'a le plus émue, avec son côté fragile, secret, mystérieux, les douleurs intimes qu'elle tait à tout le monde hormis à Anna, et sa force de caractère pour se convaincre qu"Anna c'est du passé et qu'elle ne manque pas à sa vie : "Elle aimait se répéter qu'elle ne pensait même plus à Anna, que c'était comme un paquet de biscuits laissé plusieurs jours ouvert. Tout secs, qui attirent les mites.".
Qu'elle est belle cette relation, qu'elle est forte, et qu'est-ce qu'elle est si bien décrite et analysée dans ses moindres détails.
Au-delà de ces deux personnages principaux, il y a tous les autres qui gravitent autour et qui sont tous aussi touchants les uns que les autres, qu'il s'agisse d'Alessio, le frère d'Anna, qui fait le gros dur macho devant ses amis mais qui souffre en secret dans son cœur, ou de la mère de Francesca qui s'emmure dans son silence et refuse de faire quoi que ce soit pour améliorer sa vie.
Mais impossible d'y échapper, tout revient toujours à Anna et Francesca, à ces deux magnifiques sirènes qui attirent le regard des garçons, suscitent la jalousie chez les autres filles, deux chrysalides qui éclosent et basculent du monde de l'enfance à celui des adultes.
Et qui acceptent que le lecteur, à travers la si belle plume de Silvia Avallone, assistent en spectateur à cette transformation.

"D'acier" de Silvia Avallone est un magistral premier roman qui dresse un portrait sensuel et envoûtant de l'Italie des années 2000.
Un livre sans concession qui a réussi le pari audacieux de transformer l'acier en or et le désespoir en espoir, un petit bijou littéraire.

Livre lu dans le cadre du Challenge Il Viaggio


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