dimanche 15 novembre 2015

Persepolis - Tome 4 de Marjane Satrapi


Difficile de faire plus attendu que ce quatrième et dernier tome de Persépolis de Marjane Satrapi. La jeunesse et les premiers pas dans la vie adulte d'une jeune Iranienne au caractère bien trempé et à la langue bien pendue. Avec, en arrière-plan, le récit des événements tragiques qui ont constitué le quotidien de l'Iran contemporain. (L'Association)

Si l'intégration en Autriche dépeinte dans le troisième tome n'avait pas été évidente, il en va de même pour ce retour au pays.
Marjane, au début heureuse de ce retour parmi les siens, sombre bientôt dans une dépression, et comprend bien vite que pour les Occidentaux elle était une Iranienne et que pour les Iraniens, y compris ses ami(e)s, elle n'est qu'une Occidentale : "Derrière leur apparence de femmes modernes, mes amies étaient de vraies traditionalistes. Elles étaient saturées d'hormones et de frustrations, d'où leur agressivité à mon égard. Pour elles, j'étais devenue une occidentale décadente.".
Il va lui falloir une sorte d'électrochoc, la visite à l'un de ses amis d'enfance désormais mutilé et handicapé par la guerre, pour retourner à la vie et sortir de sa chambre : "Ce jour-là, j'appris une chose fondamentale : on ne peut s'apitoyer sur soi que quand nos malheurs sont encore soutenables. Une fois cette limite franchie, le seul moyen de supporter l'insupportable, c'est d'en rire.", et se décider d'appliquer à la lettre le conseil fondamental de sa grand-mère : être soi-même.
Marjane sort, s'amuse - non sans risque - avec ses ami(e)s, s'inscrit à l'université pour entreprendre des études artistiques, et rencontre Reza dont elle tombe amoureuse, et qu'elle finit même par épouser, non par amour véritable mais parce que la vie était quasi impossible pour des couples non mariés : "Nous rentrâmes chez nous. Quand la porte de l'appartement se referma, j'eus une sensation bizarre. Je regrettais déjà ! J'étais soudain devenue "une femme mariée". J'avais suivi le schéma social alors que j'avais toujours voulu rester en marge. Dans ma tête "une femme mariée" n'était pas comme moi. Cela demandait trop de compromis. Je ne pouvais pas l'accepter, mais c'était trop tard.".
Elle en divorcera d'ailleurs tout aussi rapidement qu'elle l'a épousé, après des mois de disputes, de bagarres, de silences incessants.
C'est une Marjane plus adulte mais pas tout à fait encore que le lecteur découvre ici.
Elle se piège elle-même dans ce mariage, pourtant elle ne muselle plus plus ses pensées, ses paroles, son envie de liberté et trouve un exutoire à tout cela à travers le dessin.
Marjane n'est pas dupe, elle se rend bien compte que l'époque n'est plus aux manifestations, aux révoltes, le régime en place a le pouvoir absolu, il a fini par museler la population et la forcer à fermer les yeux à force de réprimandes sévères et sanglantes : "Le régime avait le pouvoir absolu et la plupart des gens, à la recherche d'un nuage de bonheur, avaient oublié leur conscience politique.".
J'aime beaucoup ce qu'est devenue Marjane, elle trouve une forme d'équilibre et de bonheur et il lui fallait sans doute cela pour pouvoir quitter définitivement l'Iran, ce qu'elle finit par faire pour la France où elle habite depuis lors, poussée par ses parents mais cette fois-ci où chacun sait que le point de non-retour est atteint : "Cette fois, tu pars pour toujours. Tu es une femme libre. L'Iran d'aujourd'hui n'est pas pour toi. Je t'interdis de revenir !".
C'est à la fois une chance pour Marjane et une sévère désillusion pour ses parents qui, rappelons-le, ont vraiment cru à un nouvel Iran après la chute du Shah.
J'y suis allée de ma petite larme sur les derniers mots de Marjane Satrapi par rapport à son départ et au fait qu'elle n'aura pu revoir vivante sa grand-mère qu'une seule fois car, comme elle le dit, la liberté a un prix et j'ai malheureusement pu découvrir bien qu'à une plus petite échelle et dans un autre contexte ce que cela faisait de perdre quelqu'un de sa famille lorsque l'on est à des milliers de kilomètres de là.
A la fin, c'est une Marjane complètement adulte que le lecteur a sous les yeux, la chrysalide a fini par donner naissance à un très beau papillon tout sauf éphémère.
Ce quatrième tome était attendu, j'ai trouvé que c'était le parfait aboutissement de toute cette histoire.
L'Histoire est un peu moins présente mais la part belle est donnée aux sentiments, aux émotions, aux modes de vie des Iraniens sous le régime islamiste et, bien que ce pays tende aujourd'hui à s'ouvrir un peu plus, cela donne un aperçu assez fidèle et d'un certain côté glaçant de ce qu'ont pu vivre, et vivent encore, les Iraniens.
Dans un sens, cette bande dessinée permet aussi de changer notre regard d'Occidentaux sur l'Iran et sur son histoire.
Pour ma part, j'ai trouvé cette lecture très enrichissante et très intéressante sur bien des aspects, et le graphisme est des plus réussis.

Comme bon nombre de personnes, j'ai découvert Marjane Satrapi et "Persepolis" à travers le dessin animé qu'elle en a fait avec Vincent Paronnaud.
J'ai attendu plusieurs années pour lire la bande dessinée, afin de laisser reposer l'histoire et les personnages qui étaient bien frais dans ma mémoire, et c'est une excellente chose.
A toutes les personnes qui ont vu le dessin animé j'ai envie de leur dire de se ruer sur cette excellente bande dessinée; et à toutes les personnes qui l'ont déjà lue de voir le film animé qui en a été tiré, si ce n'est déjà fait.
"Persepolis", c'est à la fois l'histoire contemporaine de l'Iran mais aussi celle plus personnelle de Marjane Satrapi, les deux étant intimement liées et les deux étant, bien entendu, à découvrir.

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