samedi 26 décembre 2015

Transperceneige - Terminus de Jean-Marc Rochette et Olivier Bocquet


Après des décennies d'un voyage sans but sur notre terre gelée, le Transperceneige est hors d'état de continuer son périple. Les passagers - toute l'humanité survivante - sont contraints de quitter le train à la recherche d'un nouvel abri. Malgré les risques, c'est pour chacun l'espoir d'une vie meilleure. Car rien ne pourrait être pire que l'existence à bord... pensent-ils. (Casterman)

Qu'elle semble lointaine l'époque où le Transperceneige aux mille et un wagons parcourait d'un bout à l'autre la planète figée dans un hiver éternel.
Aujourd'hui il ne reste plus grand chose de ce train mythique, le Transperceneige n'est plus qu'une coquille fatiguée qui tombe en ruine et menace de livrer à eux-mêmes les quelques personnes encore vivantes dans ses entrailles : "Tout ce qui reste de l'humanité est entassé ici, dans dix wagons. Il y a des blessés, des malades, on est surpeuplés, on n'a plus de nourriture, plus d'infirmerie, la chaufferie est à l'agonie ... Il n'y a plus rien dans ce train qui puisse nous sauver.".
Mais l'espoir renaît, car le Transperceneige a capté de la musique, et qui dit musique dit électricité, dit donc peut-être un nouvel abri, plus sûr, et d'autres personnes encore en vie qui pourraient les accueillir, qui pourraient avoir de la nourriture, des vêtements, des médicaments à leur proposer, autant de biens de première nécessité qu'il n'y a plus à bord de ce train.
Ou pas, car nul ne sait ce qui attend les passagers du Transperceneige dans ce nouvel havre : "Je suis comme vous, je me réjouis. Mais je suis surtout inquiète. Vous vous croyez sauvés ? Pourtant, nous ne savons rien de cet endroit, et la vérité ... La vérité c'est qu'il y a toutes les chances pour que ce soit notre tombeau.".

J'ai été agréablement surprise d'apprendre qu'un nouvel opus du "Transperceneige" venait d'être publié.
Je croyais cette série définitivement arrêtée, une nouvelle fois merci au réalisateur Bong Joon-Ho qui m'a permis de la découvrir mais qui a aussi donné l'envie et l'idée à Jean-Marc Rochette, cette fois-ci accompagné d'Olivier Bocquet, de redonner vie à ce train mythique à travers cette nouvelle aventure.
Cette fois-ci, il n'est plus question d'être dans le train, l'intrigue se passe en dehors, dans une mystérieuse cité souterraine - une gare - débouchant sur un parc d'attraction, lui-même construit sous une centrale nucléaire, sauf que ce détail ne sera connu que bien tardivement par les rescapés du Transperceneige.
Le parc, répondant au nom de Future Land, abrite une communauté quelque peu étrange : des personnes se cachant sous des masques de souris, cultivant des légumes aux dimensions gigantesques et servant deux mystérieux personnages appelés "les aiguilleurs" qui n'hésitent pas à pratiquer des expériences scientifiques sur les gens.
D'ailleurs, les femmes enceintes sont mises à l'écart et il n'y a point d'enfant dans ce qui apparaît au premier abord comme l'Eden après la vie dans le Transperceneige.
Mais est-ce réellement le cas ?
Que vaut-il mieux : la vie dans ce monde souterrain ou dans le Transperceneige, l'un comme l'autre n'étant pas sans danger ?
C'est en somme la question posée tout au long de cet ouvrage.
Pour Puig Vallès, le leader d'un groupe de rebelles du train, mieux vaut le Transperceneige : "Le train ne vous mettra pas à l'abri du danger. Nous allons vers l'inconnu. Mais les dangers que nous rencontrerons, nous pourrons lutter contre. Nous aurons notre chance. Et nous serons libres.".
J'ai été frappée une nouvelle fois par la noirceur qui se dégage de l'histoire mais surtout par la richesse et la profondeur du scénario.
Il y a beaucoup à en dire et il serait trop réducteur de se contenter de présenter "Le Transperceneige" comme un récit de science-fiction, ou comme une oeuvre post-apocalyptique.
Si les deux auteurs revendiquent leur récit comme une transposition des dérives actuelles de notre société : un non-respect de la nature, l'utilisation à outrance du nucléaire, les manipulations génétiques, la toute-puissance de l'industrie pharmaceutique; j'y ai aussi vu des transpositions de faits passés qui finalement recommenceraient, malgré leur horreur, malgré le "plus jamais ça".
Difficile de ne pas penser à l'extermination de masse dans les camps de la mort de la Seconde Guerre Mondiale avec une mise en quarantaine des nouveaux arrivants du Transperceneige dans la cité souterraine, une sélection des travailleurs et l'élimination des sujets faibles, le tatouage sur le bras, et cette phrase lâchée pour achever de convaincre les arrivants du bien-fondé de cette nouvelle cité : "Car le travail, c'est la liberté".
J'ai aussi vu une forme d'hommage à Art Spiegleman et son chef-d'oeuvre "Maus" avec ces personnes recouvertes d'un masque de souris.
Mais là encore, il n'y a pas que ça.
Il y a aussi des personnages forts, charismatiques, à l'image de Puig Vallès et de sa compagne Val, des pseudos-leaders qui se révèlent des tyrans, comme cette Laura Lewis élue par les passagers du train comme leur nouveau chef; et d'autres détestables, complètement fous, obnubilés par la recherche de l'être parfait à travers des manipulations génétiques.
Il y a tout un travail qui est aussi fait sur la couleur, avec des planches plutôt sombres dans des tons de gris, et à un moment donné l'arrivée de la couleur, comme un nouvel espoir, mais qui finit par sombrer amenant avec lui le retour du gris, du noir, la couleur du désespoir.
Visuellement, cette bande dessinée est de toute beauté, avec de très belles planches notamment vers la fin dont certaines se colorent d'un rouge sombre, rouge sang, rouge passion, couleur la plus fascinante et la plus ambiguë qui soit.
Non, décidément il n'y a rien de beau dans l'univers du Transperceneige, rien de sain et peu d'espoir, mais alors quelle claque littéraire, quel plaisir sans cesse renouvelé de retrouver cet univers à travers de nouveaux personnages, une nouvelle intrigue.
Je tiens à saluer la performance et l'immense travail de Jean-Marc Rochette, qui a dessiné une partie des planches après une double fracture du coude droit et en ayant refusé l'opération ou le plâtre, ainsi que d'Olivier Bocquet qui a su s'approprier cet univers et amener un sang neuf ainsi qu'un nouveau regard et de nouvelles idées.
"Transperceneige" est une oeuvre qui a su traverser les époques et s'y adapter, puisant à chaque fois dans celles-ci les trames de ses intrigues, il aurait été fort dommage que cette oeuvre disparaisse des mémoires et merci à ces deux auteurs qui ont su lui redonner vie une nouvelle fois, peut-être la dernière, ou peut-être pas.

"Transperceneige - Terminus" est une bande dessinée de toute beauté, très riche visuellement et d'un point de vue scénaristique, sans doute l'une des meilleurs de l'année 2015, voire de tous les temps dans le domaine de la science-fiction, une oeuvre que je ne peux que vous inviter à découvrir et qui a failli sombrer dans l'oubli il y a quelques années de cela.

Je remercie Babelio et les Editions Casterman pour l'envoi de ce livre dans le cadre d'une opération Masse Critique.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire