dimanche 24 janvier 2016

Prendre Gloria de Marie Neuser


Le 12 septembre 1993, dans la petite commune italienne de P., Gloria Prats quitte son amie Elena pour un rendez-vous furtif. Elle franchit le perron de l’église de la Miséricorde. 
Mais les minutes deviennent des heures, et Gloria ne ressort pas. Une fugue ? Un enlèvement ? Pire encore ? 
Tous les regards se tournent vers Damiano, étrange jeune homme aux déviances notoires, connu pour collectionner les mèches de cheveux des jeunes filles... 
Une enquête s’ouvre, sans corps, sans explication. Dans la petite communauté municipale, la colère et l’indignation grondent. L’ombre des magistrats menace. 
Chaque pierre se met bientôt à vibrer du silence de la disparue. L’histoire retiendra que ce 12 septembre 1993, à P., les minutes sont devenues des heures. Et le temps, un bourreau. (Fleuve Noir)

"Il y a des mystères tragiques qui secouent des pays entiers tout aussi brutalement que des bouleversements politiques.".
Chaque pays a une ou plusieurs histoires sombres d'enlèvements, de disparitions, de meurtres, où le mystère n'a jamais été résolu, ou pas encore.
En Italie, c'est l'affaire Gloria Prats (les noms des protagonistes ont été modifiés) qui a secoué le pays et qui continue encore à le faire.
Dans la commune de P. le 12 septembre 1993 Gloria quitte son amie Elena pour se rendre à un rendez-vous rapide dans l'église de la Miséricorde avec Damiano Solivo, elle n'en ressortira pas.
Évaporée, disparue, il n'y a plus de Gloria Prats.
Pour certaines personnes de la police c'est une fugue, pas pour la famille, ni Elena.
Pour la famille Solivo, le coupable ne peut être que ce jeune Albanais qui tournait autour de Gloria.
Car Gloria n'est pas le genre de jeune fille à fuguer, ni à disparaître sur un coup de tête dans donner signe de vie.
Pour sa mère, ses frères, Elena, quelques policiers, le coupable ne peut être que Damiano Solivo, le collectionneur de mèches de cheveux, un garçon mou et suant n'inspirant que peu de sympathie et dont certaines mœurs ont fait l'objet de plainte auprès des forces de l'ordre.
Pendant dix-sept ans il se passera beaucoup de choses, "Et Gloria Prats dans tout ça ? Gloria ? On l'a cherchée partout, on ne l'a pas trouvée. Il n'y a pas de corps. Gloria n'a pas de corps. Elle est sûrement quelque part, on est toujours quelque part.".
Jusqu'à un beau jour de 2010 où un ouvrier monte dans les combles de l'église pour une inspection et découvre un cadavre, celui de Gloria.

Pourquoi en dix-sept ans personne n'a trouvé Gloria ?
Comme certaines personnes l'ont dit et clamé haut et fort : Gloria n'avait effectivement jamais quitté l'église de la Miséricorde, ce lieu de culte aura été son tombeau.
Et je ne vous dévoilerai rien en vous disant que bien évidemment, le coupable était Damiano Solivo.
Parce que quelques années plus tôt Damiano Solivo est parti d'Italie, il réside alors en Grande-Bretagne, où il a bien entendu continué à se livrer à ses jeux malsains de collection de mèches de cheveux, et surtout où il a de nouveau tué.
Au moment où le corps de Gloria a été retrouvé Damiano était derrière les verrous, et les enquêteurs Italiens et Anglais n'ont pas tardé à faire le lien entre ces deux meurtres, même si dans le cas de Gloria il a fallu se battre pour démontrer par une analyse scientifique que le coupable était bel et bien Damiano Solivo.
Pourquoi une telle protection autour de Damiano Solivo ?
Parce que pour son père, son cher bambin ne pouvait être qu'innocent : "Rien ne me fera changer d'avis, jamais. Damiano est totalement étranger à cette terrible histoire. Je ne dis pas qu'il n'a pas quelques défauts comme tout le monde, quelques petits travers dus à la jeunesse, mais je ne saurais jamais mettre en doute l'intégrité du cœur, de l'âme, de Damiano.", mais surtout, ce père qui a si mal aimé son fils qui réclamait son attention et est responsable en grande partie de son déséquilibre psychologique fait partie de la mafia.
Alors une magistrate a été convaincue de défendre Damiano sinon ..., des témoins ont été achetés pour dire qu'ils avaient vu Gloria après l'heure de sa disparition, ces mêmes témoins ont fini par disparaître dans des accidents.
Tout cela vous semble trop énorme pour être vrai ? Et pourtant .... .
Marie Neuser s'est intéressée de très près à cet épisode judiciaire Italien, elle a collecté tous les documents qu'elle a pu trouver, les coupures de presse, les émissions de la BBC suite à l'arrestation du véritable Damiano, et a aussi bénéficié du fait que tous les procès en Italie sont publics, les pièces et les informations sont donc disponibles pour tout un chacun (par contre pour le secret de l'instruction on repassera) ainsi que de l'émission "Chi l'ha visto ?", rebaptisée "Où es-tu ?", qui présente chaque semaine à la télévision une affaire de disparition.
Elle a construit son oeuvre sous forme de diptyque, le premier tome "Prendre Lily" est paru avant celui-ci et s'intéresse à l'enquête en Grande-Bretagne, je ne l'ai pas encore lu mais je ne vais pas tarder à le faire.
Le diptyque n'est donc pas paru dans l'ordre chronologique, un choix de l'éditeur, et finalement ce n'est peut-être pas plus mal car il est ici question de la genèse du "monstre", comment ce garçon a-t-il pu devenir un collectionneur de mèches et un tueur, qu'est-ce qui contribue à transformer une personne en monstre, où se trouve la ou les origine(s) du mal; c'est plutôt bienvenu après un premier récit sous forme de thriller.
Le roman est construit sous forme de puzzle, rien n'est ordonné mais tout est daté, car Marie Neuser a souhaité conserver l’apparition des différentes pièces du dossier.
Car des rebondissements, des lapins sortis du chapeau, il va y en avoir au cours de ces dix-sept années, pour être tout à fait honnête cette affaire n'est à ce jour pas vraiment close et comporte encore de nombreuses zones d'ombre.
Par contre le meurtrier lui est identifié dès le début, ce récit n'a pas pour but de le démasquer.
Marie Neuser a romancé certains détails mais la grande majorité de son récit n'est que faits réels, ce qui est d'autant plus glaçant, voire révoltant, lorsque l'on découvre l'attitude de certaines personnes qui n'hésitent pas à mentir et à ainsi empêcher la vérité d'éclater et à une famille de faire le deuil de leur enfant ou sœur.
J'ai tout de suite été prise dans ce jeu de pistes, il n'y a pas de héros mais une multitude de personnages qui interviennent, c'est une véritable chorale qui dévoile au fur et à mesure sa partition jusqu'au point d'orgue final.
Je trouve que ce roman est une forme d'hommage posthume à Gloria dont la disparition a eu le mérite de faire évoluer un aspect du système judiciaire Italien : désormais lorsqu'une personne s'évapore mystérieusement elle n'est plus considérée comme simple fugueuse mais comme une disparition.
J'ai senti dès le début que l'histoire se déroulait dans le Sud de l'Italie, car j'y ai reconnu ses particularités, il y a un véritable écart entre l'Italie du Nord et celle du Sud, en tout cas l'ambiance se ressent très bien à travers les mots de l'auteur.
J'ai bien entendu été touchée par le personnage de Gloria, un fantôme qui hante le récit, mais aussi par sa famille, particulièrement sa mère qui s'est battue pour que la lumière soit enfin faite sur la disparition de sa fille, ainsi que son amie Elena qui a été traînée dans la boue alors qu'elle ne faisait que dire la vérité.
Marie Neuser a été intelligente dans son approche de Damiano Solivo, elle aurait pu le rendre détestable, elle fait le choix de ne jamais le faire parler à la première personne et arrive à le rendre compréhensible pour le lecteur, notamment en mettant en avant son aspect quelque peu rebutant de garçon rond et suant, une sorte d'anguille qui sans cesse glisse des mains de la personne venant de l'attraper et retourne se vautrer dans la vase.
A aucun moment elle ne l'excuse ni ne justifie ses actes, elle dresse le parcours d'un monstre ordinaire, une personne que n'importe qui pourrait malheureusement croiser n'importe quand.
Il y a une forme d'injustice car le coupable est protégé et s'en sort toujours, les innocents sont traités et considérés comme des menteurs et l'on a que faire de la détresse d'une famille, j'avoue avoir bouilli par moment au cours de ma lecture.
Je me suis longtemps demandée comment une telle chose avait pu se produire, aujourd'hui cette lecture a fortement éveillé mon intérêt sur cette histoire et je ne manquerai pas à l'occasion de lire des articles ou voir des émissions qui lui seront consacrés.

"Prendre Gloria" de Marie Neuser a été une double découverte, à la fois de cette affaire qui a agité l'Italie pendant dix-sept ans et l'Angleterre mais aussi de l'auteur dont j'ai beaucoup apprécié lé style et la sincérité dans sa démarche qui l'a menée à écrire un roman sur la disparition et le meurtre d'Elisa Claps, la véritable Gloria.

Si vous souhaitez en savoir plus sur l'affaire Elisa Claps :
- La page Wikipédia consacrée à ce meurtre (en Italien)
- La page de l'émission Chi l'ha visto ? consacrée à l'affaire (en Italien)
- Un reportage de la BBC "Crimewatch - How they caught : Danilo Restivo"

Je remercie Babelio et les Editions Fleuve Noir pour l'envoi de ce roman ainsi que pour l'organisation de la rencontre avec Marie Neuser le 15 janvier 2016 dont le compte-rendu est disponible ici.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire