dimanche 18 septembre 2016

L'île sous la mer d'Isabel Allende


1770, Saint-Domingue. Zarité – Tété – a 9 ans lorsqu'elle est vendue à Toulouse Valmorain, tout juste débarqué pour prendre la succession de son père, propriétaire terrien mort de la syphilis. Elle découvre la plantation, les champs de canne à sucre et les esclaves, la violence des maîtres, le vaudou… et le désir de liberté. Lorsque Valmorain, réchappé de l'insurrection, parvient à embarquer pour La Nouvelle-Orléans, Tété le suit. Mais la lutte pour la dignité et l'émancipation ne peut être arrêtée. (le Livre de Poche)

Isabel Allende l'a prouvé à plusieurs reprises, c'est une conteuse hors pair et ses romans sont la garantie d'histoires passionnantes avec des héroïnes attachantes et de nombreux rebondissements.
Qui plus est, elle ancre toujours ses récits dans un contexte historique.
Ici, il est question de l'esclave, tout d'abord à Saint-Domingue puis à la Nouvelle-Orléans, car les personnages vont devoir fuir cette colonie Française lors de la guerre civile.
Zarité - dite Tété - est fille d'esclave, à neuf ans elle est achetée par Violette, une "cocotte" mûlatresse la plus appréciée de toute l'île, qui la forme et la vend à Toulouse Valmorain, Français tout juste débarqué pour prendre la succession de son père à la tête de leur plantation de cannes à sucre.
Dans cette plantation, Tété apprendra à tenir une maison, s'occupera du fils de la femme devenue folle de Toulouse Valmorain, découvrira le vaudou, le droit de viol de son maître sur elle et sur d'autres, mais aussi l'amour dans les bras d'un jeune esclave qui ne tardera pas à s'enfuir et à rejoindre les esclaves révoltés qui finiront par se battre pour leur liberté.
Quand les "Grands Blancs", menacés par la guerre civile, seront forcés de fuir, Tété sauvera Valmorain et fuira avec lui et son fils, ainsi que sa fille.
Leur nouvelle vie commencera d'abord à Cuba puis à la Nouvelle-Orléans en Louisiane, un territoire que les Français ne manqueront pas de vendre aux Américains.
Là-bas les misères et la vie de dure labeur de Tété continueront, mais elle y retrouvera également l'amour et surtout acquerra à prix fort sa liberté.

La quatrième de couverture laissait penser que Tété serait le personnage central de ce roman, or il n'en est rien car elle n'est que l'une des héroïnes de ce roman.
Certes, elle a un rôle majeur mais le lecteur découvre également le destin de Violette, une jeune mûlatresse touchante qui de cocotte finira en femme d'affaires avisée.
Elle jouera par deux fois un rôle important dans la vie de Zarité et j'ai aimé que l'auteur mette dans son histoire autant de personnages féminins différents pour laisser voir toutes les facettes de la société de cette époque : il y a Zarité l'esclave qui veut son indépendance, Violette dont le côté mûlatresse ne se voit pas et qui si elle est déjà libre cherche à occuper une place d'importance dans la société, Tante Rose l'esclave adepte du vaudou qui conseillera Tété, Eugenia la femme blanche de Valmorain qui deviendra folle et ne s'adaptera jamais à Saint-Domingue, Rosette la fille de Zarité qui connaîtra un destin fort, tout comme sa mère.
A travers toutes ces épreuves, Zarité comprendra bien vite pourquoi sa mère avait cherché à la tuer, c'est en devenant mère qu'elle prendra conscience que sa condition d'esclave s'applique tout autant à sa fille, et c'est pourquoi elle ne cherchera plus qu'à obtenir leur liberté : "Nous ne pouvons protéger nos enfants ni leur promettre que nous serons près d'eux aussi longtemps qu'ils auront besoin de nous. Nous les perdons trop tôt, c'est pourquoi il vaut mieux ne pas leur donner le jour.".
Dans ce roman, il y a plusieurs sens au mot "liberté" : pour Zarité, c'est d'obtenir un papier la libérant de sa condition d'esclave, pour son amant Gambo c'est l'abolition pure et simple de l'esclave.
Ce dernier aura d'ailleurs du mal à comprendre qu'elle choisisse de partir avec Valmorain plutôt que de rester avec lui et participer à la rébellion : "Et la liberté ? C'est sans importance pour toi ?".
Cette histoire a le mérite de montrer qu'il n'y a pas qu'une forme de liberté et que quelle que ce soit la perception que l'on en a, le chemin pour l'obtenir est long et semé d'embûches.
J'ai été très vite prise par l'histoire et malgré un nombre de pages important ce roman se lit très rapidement, et très facilement.
Le style d'Isabel Allende emporte le lecteur qui non seulement change de pays mais également d'époque.
Elle utilise l'ellipse à bon escient, ce qui fait que son récit ne souffre d'aucune longueur et garde sa cohésion du début à la fin.
J'ai beaucoup apprécié le contexte historique de ce roman, sans donner l'impression de se transformer en livre d'histoire Isabel Allende a su insérer les moments clés et les personnages historiques importants dans son récit.
Ainsi, le lecteur croisera notamment Toussaint Louverture ou le général Dessalines, mais découvrira ou redécouvrira des pans plutôt méconnus de l'histoire de l'indépendance de Saint-Domingue, ancienne colonie Française qui prendra le nom de Haïti à son indépendance en 1804, ou encore de la vente de la Louisiane aux Américains.
Pendant qu'en France la Révolution faisait rage et que les têtes tombaient sous la guillotine, ailleurs les esclaves se révoltaient et cherchaient à s'émanciper dans les colonies, ainsi la Révolution Française ne s'est pas limitée qu'au territoire de la métropole mais a également eu lieu dans certaines de ses colonies, et c'est un aspect historique peu souvent abordé.
Etant amatrice d'histoire, ce récit ne pouvait que me plaire car il donne envie de creuser et d'en apprendre plus sur cette période.
J'avais déjà pu l'apprécier dans de précédentes lectures, mais Isabel Allende aime décidément tourmenter ses héroïnes et si tout finit plus ou moins bien pour certaines pour d'autres c'est un drame.
Isabel Allende aime les histoires d'amours contrariées, je me souviens d'une dans "La maison aux esprits", ici celle de Rosette m'y a fait penser, sans doute parce que là aussi c'est la fille du personnage principal qui va souffrir le plus alors que le lecteur pensait qu'elle pourrait au moins s'en sortir.
Mais comme à chaque lecture d'Isabel Allende la même impression revient, si j'ai aimé ma lecture et si celle-ci m'a transportée, il y manque la petite touche de magie extraordinaire que je n'ai trouvé à ce jour que dans "La maison aux esprits".
Par contre, il va s'en dire que cette historie ferait une formidable adaptation télévisuelle en série historique.

"L'île sous la mer" est une très belle fresque historique et romanesque signée de la talentueuse Isabel Allende qui sait si bien transporter le lecteur, alors n'hésitez pas et vous aussi succombez au destin de Zarité et de tous les autres personnages de ce roman dépaysant.



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire