mercredi 29 mars 2017

Station Eleven d'Emily St. John Mandel


Dans un monde où la civilisation s’est effondrée suite à une pandémie foudroyante, une troupe d’acteurs et de musiciens nomadise entre de petites communautés de survivants pour leur jouer du Shakespeare. Un répertoire qui en est venu à représenter l’espoir et l’humanité au milieu de la désolation. (Rivages)

Si Jean-Paul Sartre a dit "L’enfer c’est les autres", ici "L'enfer, c'est l'absence de ceux qu'on voudrait tant avoir auprès de soi.".
Au début de cette histoire, le comédien Arthur Leander interprète le roi Lear sur la scène d’un théâtre à Toronto et s’écroule sur scène, terrassé par la mort.
Le lendemain, la grippe de Géorgie se répand au Canada, aux Etats-Unis : "La veille, on avait annoncé l'apparition alarmante d'un nouveau virus en république de Géorgie, en avançant des chiffres contradictoires sur le taux de mortalité et le nombre de victimes. On avait donné peu de détails. Les médias avaient baptisé ce virus "la grippe de Géorgie", nom que Jeevan trouvait d'un charme désarmant.", et sème la mort sur son passage, le monde sombre alors dans le chaos : "Il y eut la grippe qui explosa à la surface de la terre, telle une bombe à neutrons, et le stupéfiant cataclysme qui en résulta, les premières années indescriptibles où les gens partirent sur les routes pour se rendre compte qu'il n'existait aucun endroit, accessible à pied, où la vie continuait telle qu'ils l'avaient connu auparavant; ils s'installèrent alors où ils le pouvaient - dans des relais routiers, d'anciens restaurants, des motels délabrés -, en restant groupés par mesure de sécurité.".
"La civilisation, en l'An Vingt, était un archipel de petites localités.", 99% de la population mondiale a été décimée par cette grippe et parmi les rares survivants il y a La Symphonie Itinérante qui parcourt les routes pour jouer Shakespeare.
Cette Symphonie Itinérante est constituée de gens pour la plupart jeunes et n’ayant quasiment connu que le monde d’après la pandémie, et de quelques autres nostalgiques d’une époque et de technologies aujourd’hui révolues : "Et tous ces gens, avec leur collection de petites jalousies, de névroses, de syndromes post-traumatiques non diagnostiqués et de rancœurs brûlantes, vivaient ensemble, voyageaient ensemble, répétaient ensemble, jouaient ensemble trois cent soixante-cinq jours par an, compagnie permanente, en tournée permanente. Mais ce qui rendait la situation supportable, c'était les amitiés, bien sûr, la camaraderie, la musique et Shakespeare, ces moments de beauté et de joie transcendantes où on se moquait de savoir qui avait utilisé le restant de colophane pour frotter son archet ou qui avait couché avec qui, même si quelqu'un - probablement Sayid - avait écrit au feutre, à l'intérieur d'une des caravanes, "Sartre : L'enfer, c'est les autres" et qu'un plaisantin avait effacé le mot "autres" pour le remplacer par "flûtes".".
Au milieu du chaos et de la désolation, cette Symphonie Itinérante est l’un des derniers bastions de l’espoir et de l’humanité.

Il y a des livres dont la lecture marque profondément, viscéralement, à tel point que l’on ne sait pas trop comment en parler, même plusieurs semaines après.
A part dire que l’on a aimé.
Beaucoup.
Mais cela paraît totalement inapproprié face aux émotions qui m’ont habitée pendant cette lecture.
L’apocalypse a peut-être eu lieu mais l’auteur ne tombe pas dans le piège de la facilité et des visions d’horreur.
Le livre est bâti comme un miroir, un côté reflétant la réalité d’hier et l’autre celle d’aujourd’hui. Emily St John Mandel tisse son histoire en alternant le passage d’une époque à une autre, d’un personnage à l’autre.
Véritable récit choral les personnages sont soit restés prisonniers et figés à jamais d’un côté du miroir, soit ils n’ont connu que l’autre, soit ils sont passés de l’un à l’autre, à l’image d’une Alice qui au lieu de se retrouver au pays des merveilles aurait emprunté un chemin vers le pays du chaos.
La chute de la civilisation a quasiment eu lieu, les rares survivants sont restés désemparés, ils ont dû réapprendre à survivre, à chasser pour se nourrir, à vivre sans toute la technologie que nous connaissons : plus d’avion, plus de train, plus d’électricité, plus d’eau courante, plus de routes entretenues, plus de magasin, plus d’usines pour produire des armes, des munitions, de la nourriture, des vêtements, plus de poste, plus de communication possible d’un continent à l’autre ou encore d’endroits situés à quelques kilomètres les uns des autres.
Et encore, ce n’est là qu’une liste réduite de tout ce qui disparaîtrait en cas de pandémie.
Non seulement les êtres n’ont plus de repères, mais livrés à eux-mêmes certains révèlent un caractère bestial et retournent à un état quasi sauvage tandis que d’autres luttent pour garder un semblant d’humanité.
Cet aspect est ici particulièrement mis en valeur car l’auteur alterne entre le monde post-apocalyptique et ce qu’il était avant, le contraste est donc flagrant.
Le monde a explosé en éclats, à l’image d’un Arthur Leander détruit par le succès et ses échecs conjugaux.
Ce nouveau monde voit aussi l’émergence de gourous habités d’une vision dans laquelle ils entraînent des personnes et contribuent encore plus à la destruction de l’humanité.
Ou ce qu’il en reste.
Tandis qu’une rumeur circule qu’il existe quelque part un Musée de la Civilisation que la Symphonie Itinérante cherche à rallier, l’une de ses membres fait également circuler une bande dessinée titrée "Station Eleven" qui évoque de façon troublante, pour ne pas dire divinatoire, l’avenir de l’Homme.
Le message fort de ce roman, c’est que face au chaos, à la solitude, au deuil, au doute, l’art permet de survivre, tel est le message que véhicule la Symphonie Itinérante.
La plume d’Emily St John Mandel est d’une mélancolie sublime, elle arrive habilement à constituer un monde futur en le mêlant à celui passé et entraîne avec elle le lecteur.
Il m’a été difficile de lâcher cette lecture une fois commencée tant j’ai été emportée par le style et l’univers de l’auteur.
Elle a su mettre une tension dans son récit et j’ai beaucoup attendu la confrontation finale, et c’est là le seul petit reproche que j’aurai à lui faire : après tant d’attente celle-ci est expédiée un peu trop rapidement à mon goût.
Mais que de messages sous-jacents sont cachés dans cette histoire, voilà un roman que je relirai sans doute dans quelques années.

"Station Eleven" est un livre à nul autre pareil, qui résonne comme un écho longtemps après l’avoir refermé, un énorme coup de cœur pour ma part et une très belle découverte : celle d’Emily St John Mandel dont je vais me hâter de découvrir les précédents romans.

4 commentaires:

  1. Hiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii !

    (Je te laisse déduire que de ce cri strident ce que tu voudras !)

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    1. Tu ne veux pas le lire, c'est ça ? :p
      Ah non, peut-être plutôt l'inverse !

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    2. Ouiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii, je veux le lire !

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    3. Je vais remédier à ce petit problème, pas d'inquiétude !

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