samedi 7 avril 2018

Les rêveurs d'Isabelle Carré


Quand l’enfance a pour décor les années 70, tout semble possible. Mais pour cette famille de rêveurs un peu déglinguée, formidablement touchante, le chemin de la liberté est périlleux. Isabelle Carré dit les couleurs acidulées de l’époque, la découverte du monde compliqué des adultes, leurs douloureuses métamorphoses, la force et la fragilité d’une jeune fille que le théâtre va révéler à elle-même. (Grasset)

J'ai dans les quinze ans, c'est un samedi après-midi et je travaille sur mes devoirs avec la radio, une émission sur le cinéma (et oui, déjà à l'époque. Je dois en grande partie à Remo Forlani mon amour du cinéma, mais ceci est une autre histoire).
L'invitée du jour est Isabelle Carré, une comédienne plutôt jeune et méconnue mais que j'apprécie déjà beaucoup et que j'ai vu plusieurs fois au cinéma.
Elle parle d'elle, de ce qui l'anime, de ce qu'elle aime faire, de la danse qu'elle pratique pour se défouler, du théâtre.
Dans le fond, elle ne parle pas vraiment d'elle-même, ou alors superficiellement, mais ça je ne l'ai compris qu'aujourd'hui.
J'aime cette actrice, je n'ai cessé de la suivre dans ses rôles depuis lors mais jamais au grand jamais je n'aurai pu me douter de ce qui se cachait derrière cette personne qui apparaissait si équilibrée, si sûre d'elle, banale en somme.
Jamais je n'aurai pu deviner ce qu'a été son enfance, le secret de son père qui a fait exploser sa famille, ses tentatives de suicide, cette vie de quasi bohème qu'elle mène encore adolescente seule dans un appartement, et sa rencontre avec le théâtre qui lui sauve la vie en quelque sorte et lui permet de trouver sa voie et de tracer son chemin.
Au fond, Isabelle Carré a bien raison de dire : "Je suis une actrice connue, que personne ne connait.".
Et c'est dans ce premier livre qu'elle se dévoile, en repartant sur les traces de son enfance et de cette famille dans laquelle elle a grandi, et rêvé surtout, car ses parents n'ont jamais mis de limites à leurs enfants contrairement à d'autres : "Certains adultes s'inquiètent de voir les enfants rêver.", il faut dire aussi que cette enfance se passe dans les années 70.

Isabelle Carré nous parle tout d'abord de sa mère, cette jeune femme issue de la bourgeoisie, enceinte et donc cachée dans un appartement de banlieue et qui au dernier moment va refuser que son enfant soit adopté et au contraire le garder, et l'élever avec un homme qu'elle a rencontré quelques mois avant et qui l'accepte tel qu'elle est, son sauveur d'une certaine façon mais qui demandera la monnaie de sa pièce quelques années plus tard : "Dans les films, les héros sauvent toujours les femmes en détresse sans contrepartie, pour la beauté du geste. Et dans la vraie vie ?".
La petite Isabelle naît, puis son frère, et la fratrie est joyeusement élevée dans un appartement qui voit défiler du beau monde, le père est artiste, la mère s'essaye à beaucoup de choses, mais la petite Isabelle a cette impression et ce rêve récurrent que sa mère ne la voit pas : "Je sais bien que ce n'est qu'un cauchemar, mais il semble contenir une vérité que je ne saurais ignorer : ma mère ne me voit pas, elle ne me sauvera d'aucun danger, elle n'est pas vraiment là, elle ne fait que passer, elle est déjà passée. Elle s'en va.".
Et puis la famille explose, le père reconnaît officiellement son homosexualité, part vivre avec un homme, et tout va à vau-l'eau : la mère est en dépression, Isabelle aussi, après une tentative de suicide elle est hospitalisée et c'est alors que vient la révélation, celle de faire du théâtre pour expurger ce trop-plein qui l'habite : "Et si c'était la solution, s'inscrire dans un cours de théâtre, accepter que ça déborde ? Il y aura la sécurité du cadre, du cadre de scène, ou celui défini par la caméra, pour contenir, s'autoriser, et m^me encourager ce qui, dans la vie courante, est toujours en trop.".
Il est difficile d'imaginer que toute cette enfance et cette adolescence se cache derrière cette actrice si connue, toutes des douleurs et ces épreuves racontées pour la première fois.
Si au début l'auteur parle beaucoup de sa mère, s'attarde sur cette femme aux prises avec les conditions de son milieu qui finit par s'en affranchir et donc rompt les ponts avec sa famille, après avoir brossé son enfance elle part dans plusieurs directions en mélangeant un peu les époques mais sans jamais perdre le lecteur.
La finalité de ce livre c'est de raconter son vécu, de permettre au lecteur, qui bien souvent sera aussi un spectateur, de découvrir Isabelle Carré hors champ.
Elle a des mots durs pour décrire la famille d'où elle est issue : "Je suis le fruit d'un malentendu, d'une lettre déchirée trop vite. Ou plutôt la rencontre de deux malentendus, mon père ne pouvant s'avouer quelle sorte de vie il souhaitait déjà, et ma mère jetant sa dernière chance au panier. Le fruit de deux orgueils blessés, qui se sont réchauffés un moment.", mais dans le même temps elle est aujourd'hui apaisée, elle a fait le deuil de sa colère qui la poussait à s'auto-détruire, elle a fini par accepter qui elle était et d'où elle venait.
J'ai beaucoup apprécié son style, ainsi que sa franchise, j'ai senti qu'il n'y avait plus de rancune, il y a eu beaucoup de douleur mais aujourd'hui tout cela appartient au passé.
Le métier de comédienne a été libérateur pour elle, c'est un exutoire à ses démons, j'ai d'ailleurs trouvé très émouvant le passage où elle liste tous les rôles interprétés au cinéma, à la télévision ou au théâtre.
Elle a été tout cela, mais aujourd'hui elle est elle-même, et pour la première fois elle livre sa vie privée, elle a osé le faire, aller jusqu'au bout, c'est à la fois beau et émouvant tout en étant réussi.
Difficile de ne pas être touchée par cette confession qui a changé le regard que je poserai désormais sur cette comédienne et ses rôles.

Avec "Les rêveurs" Isabelle Carré tombe le masque de la comédienne pour dévoiler la femme qui se cache derrière, un premier roman tout en sensibilité et à fleur de peau, une découverte émouvante.

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